Romano Summa
M. Murgia, A. Celestini :
le « retour » du travail dans
la littérature italienne :
de l’usine au centre d’appel,
de l’ouvrier au précaire
Le cas de Michela Murgia: de téléphoniste/blogueuse à symbole d’intellectuelle en faveur des travailleurs précaires
Née en 1972 à Cabras (OR), Michela Murgia figure, sans doute, parmi les écrivains italiens contemporains les plus significatifs. Son premier livre, Il mondo deve sapere. Romanzo tragicomico di una telefonista precaria[1], écrit en 2006, est le journal quotidien d’un mois vécu personnellement dans l’enfer d’un call center [centre d’appel]. Ce livre a connu un succès de librairie considérable, il a inspiré une œuvre théâtrale homonyme de David Emmer et Teresa Saponangelo, et en 2008, le film de Paolo Virzì, Tutta la vita davanti.
Murgia a eu le mérite de favoriser la renaissance en Italie du binôme « Littérature-Travail », en déclin avant la publication de son roman. Tel binôme était né dans les années soixante avec les réflexions d’Elio Vittorini et Italo Calvino sur le quatrième numéro de la revue Menabò[2]. Dans cet essai ils s’interrogeant sur les transformations que le développement industriel était en train d’apporter à la société italienne. Le rôle de la littérature devait alors être, selon eux, la description et l’analyse de ces transformations, ce qui se réalise concrètement avec le premier roman de Paolo Volponi, Memoriale[3] (1961), dans lequel il offre un témoignage de l’aliénation de la classe ouvrière. Cette thématique est reprise un an plus tard par Luciano Bianciardi, qui dans son roman Vita agra[4] (1962) décrit l’histoire d’un homme qui projette la vengeance contre une usine et qui, finalement, finit pour y être engagée, vaincu lui-même par les nouvelles logiques du capitalisme.
Ensuite, le roman Vogliamo tutto[5] (1971) de Nanni Balestrini, centré sur les luttes des ouvriers pour les revendications des droits, signa de façon définitive la dignité littéraire de cette classe sociale.
Pour définir ce courant littéraire on a souvent utilisé l’expression « littérature industrielle », puisque le centre principal de l’attention des écrivains était l’usine et les modifications qu’elle apportait sur le tissu social italien.
Dans le cadre de l’actuel retour de la question du travail dans la littérature italienne contemporaine, la vrai « révolution » a été le remplacement de la figure de l’ouvrier par celle du « précaire », tout comme l’usine a été remplacée par le terme plus générique d’« entreprise ».
Le centre d’appel, vrai protagoniste du roman de Murgia, devient alors l’icône du moderne non-lieu où se concrétise l’aliénation des travailleurs de nos jours.
Murgia a donné aux téléopérateurs la même dignité littéraire que Volponi avait donnée à ses ouvriers. En effet, après 2006, an de publication de son livre, on a pu observer une prolifération de romans qui ont pour protagonistes des employés dans des calls center : Vita precaria e amore eterno[6] (2007) de Mario Desiati, sur l’opposition entre la précarité du protagoniste dans le monde du travail et la stabilité qu’il cherche dans l’amour ; Voice center[7] (2007) de Zelda Zeta, histoire de onze personnages qui travaillent tous dans un centre d’appel ; Lotta di classe[8] (2008) d’Ascanio Celestini ; jusqu’au très récent Yes, we call-vita di un lavoratore call center[9], publié par Gabriele Fabiani en Février 2013, sorte de roman de dénonciation sur le monde des call centers.
De plus, dans le cas de Murgia, la gestation de l’œuvre est tout à fait novatrice puisqu’elle naît « par l’intérieur » et de façon spontanée : janvier 2006 l’auteure est engagée comme téléphoniste par la compagnie américaine Kirby. Pendant trente interminables jours elle a vendu par téléphone des aspirateurs à des milliers de femmes au foyer ; en même temps, elle étudiait les figures des chefs et des collègues, faisant l’expérience d’une véritable souffrance personnelle, à l’intérieur de l’univers de l’entreprise, caractérisé par les « remises de prix » et les humiliations publiques, les horaires, les salaires et les punitions.
Elle créa dans cette période un blog personnel où elle décrit tout ce qui se passe dans cet univers. C’est à partir de ce blog que prendra forme le roman actuel. Massimo Coppola, directeur de la maison d’édition Isbn, trouve par hasard ce blog et propose à la jeune téléphoniste et blogueuse d’en faire un livre.
L’œuvre donc n’est pas née en vue d’une future publication, et cela lui donne toute sa spontanéité. Murgia a même declaré n’avoir eu aucun espoir de succès: « Quando accettai di darlo alle stampe ero convinta che nessuno lo avrebbe comprato mai, esclusi forse i miei primi parenti »[10].
Pour une décision de la maison d’édition, on a décidé de conserver la forme blog. Le titre aussi est resté inchangé, Il mondo deve sapere, ce qui selon l’auteure est déjà « una dichiarazione di guerra »[11].
Mais pour elle, même en ayant maintenu la forme blog, le passage à été radical: « lo spostamento dal piano interattivo della rete a quello di fruizione passiva del libro stampato è in realtà un mutamento radicale non solo del mezzo, ma per certi versi anche del messaggio »[12].
Toutefois, malgré tout cela et malgré la méfiance de l’auteur, le livre a rapidement connu un grand succès de ventes. La conséquence a été que, déjà quelques semaines après la publication, le thème de la précarité dans le monde du travail est revenu sur la scène de l’actualité.
En ce qui concerne l’écrivain, la conséquence a été une immédiate popularité et un sentiment de responsabilité. Le call center devient le symbole du travail précaire en Italie, et l’auteure est souvent invitée dans des émissions télévisées pour parler de son livre.
Beaucoup de travailleurs précaires s’adressent à elle pour profiter de la visibilité médiatique dont elle est l’objet, et pour attirer l’attention sur leur condition.
On voit, dans son cas, comment un livre peut « créer » le personnage, c’est-à-dire modifier la vie de l’auteur. Elle devient, en effet, sans le vouloir, une sorte de symbole ; beaucoup de gens lui attribuent un rôle representatif qu’elle n’a jamais cherché, qui devient pour elle même une source d’inquiétude: « Anche se non avevo in nessun modo cercato un ruolo rappresentativo, cresceva il numero di persone che si aspettava che lo ricoprissi, e questo per me era fonte di ansia genuina, tanto che in un primo momento pensai di sottrarmi, di spiegare che la cosa era sfuggita di mano a tutti, che quel libro non era nato come progetto sindacale, e soprattutto che io non facevo reportage per mestiere, ma semplicemente il portiere in un albergo »[13].
D’abord elle refuse donc ce rôle de représentation et toutes ses conséquences. Mais le changement advient dans un moment précis : alors qu’elle était invitée dans une émission de télévision, elle fut bouleversée par la déclaration d’un politicien, selon lequel les exigences de la production l’emportent sur celles de la vie des jeunes.
La rage que ces mots lui ont provoquée a été décisive pour lui faire accepter la responsabilité d’être écrivain de succès qui se bat pour la justice dans le monde du travail : « è stato in quel momento che ho deciso di prendere sul serio il rischio della rappresentatività e tutte le sue conseguenze. Furono quelle parole che […] mi chiarificarono come mai prima la prospettiva degli orizzonti cupi a cui oggi diamo del tu »[14].
Ce qu’elle désire est éviter la banalisation de son cas; il était nécessaire au contraire de traiter son expérience presque comme un « fait politique ».
Elle commence donc à s’intéresser à la question du travail en Italie, en analysant tout ce qui était à sa disposition: littérature spécifique, données à confronter, études sur les effets de la « Legge Biagi »[15], analogie avec les lois sur le travail dans les autres pays. Elle se passionne par la littérature qui s’occupe de travail, surtout des œuvres de Lucio Mastronardi et Luciano Bianciardi. Etre écrivain de métier comporte « una responsabilità di cui dare costantemente conto »[16].
Dans les deux années qui suivent la publication du livre, elle voyage beaucoup et rencontre tous ceux qui voulaient parler de travail. Ce qu’elle n’arrivait pas à comprendre, c’est pourquoi la gens préférait s’adresser à un écrivain au lieu d’un syndicat. La réponse, une fois trouvée, est, comme explique Michela Murgia même, « sconcertante : davanti ai nuovi problemi del mondo del lavoro, la crisi di rappresentatività delle vecchie istituzioni sembrava totale e non reversibile »[17].
Face à cette amère constatation, il faudra alors se demander jusqu’à quel point aujourd’hui la littérature peut jouer un rôle décisif dans la défense des droits des travailleurs.
Organisation du travail du téléphoniste et tromperie des acheteurs dans Il mondo deve sapere
Murgia se sert d’un style ironique et d’un langage familier, ce qui rentre dans la stratégie de mettre la littérature au service des catégories les plus faibles. Elle illustre, d’une façon très détaillée, l’organisation du travail dans un call center, dans le cas spécifique, celui de la compagnie américaine Kirby, qui produit des aspirateurs.
Ce que le monde, comme dit le titre du livre, doit savoir, c’est principalement de quelle façon et les salariés de la compagnie et les acheteurs sont trompés avec les mêmes techniques manipulatoires.
Déjà à partir de la première page le lecteur est mis au courant des techniques diaboliques de la Compagnie. Son but principal est de convaincre les salariés qu’ils ne font pas un travail quelconque, mais qu’il s’agit de quelque chose de spécial, à peu près d’une mission.
Des instruments très utilisés à ce propos sont les fameuses « affiches motivationnelles », présentes déjà dans la salle d’attente : « Lavoro di squadra : il modo in cui la gente comune raggiunge risultati non comuni. »[18], récite le première.
Le deuxième c’est un message également positif : « È quando smetti di pensare che non ce la farai che puoi davvero cominciare a farcela. Pensa da vincente ! »[19].
Partout il y a ces affiches, sorte de messages subliminaux qui selon l’auteur « costituiscono un vero e proprio assalto all’io »[20]. Il s’agit d’une véritable manipulation intellectuelle, qui a l’unique but de faire oublier aux salariés doivent l’exploitation dont ils sont victimes.
Les affichages ne sont qu’une petite partie dans le cadre de la stratégie et des techniques « motivationnelles », que l’auteure reporte très précisément. Elle signale même la présence d’un psychologue, qui a l’objectif spécifique de motiver les téléphonistes, les inciter à faire de leur mieux, et les convaincre de l’importance de leur travail. Il faut leur donner l’impression qu’il ne s’agit pas d’un travail qu’on fait pour gagner de l’argent, mais pour des raisons plus nobles : les collègues sont toutes sympathiques, le chef est un « amour », et on est comme une grande famille.
La figure représentée comme la plus inquiétante est celle de la chef-téléphoniste. Elle n’est pas là juste pour travailler, mais elle croit vraiment dans le monde et les valeurs de la société Kirby. Comme la psychologue, elle aussi a un fort rôle « motivationnel ».
Elle doit surtout contrôler que toutes fassent au mieux leur travail. On ne peut pas se relâcher un instant, il faut absolument atteindre les objectifs fixés, (trois rendez-vous par jour) autrement il y aura l’inévitable reproche qui déclenche à la compétition entre collègues.
La réalisation de ces objectifs peut devenir une véritable obsession, car toutes les téléphonistes ont le cauchemar de l’étiquette de « perdantes ». L’auteure fournit une approfondie analyse psychologique de ses collègues et reste bouleversée par leur faiblesse et l’incapacité de s’opposer aux exploitations. : « È Bellissimo e agghiacciante allo stesso tempo. Nessuna delle ragazze si rende conto della manipolazione […] Sono un’associazione a delinquere e lo vedo solo io. E vabbe’, verrà il momento della consapevolezza collettiva »[21].
C’est un concept que l’on retrouve aussi dans le roman Vita precaria e amore eterno, de Mario Desiati, qui est encore plus dur sur la faiblesse des téléopérateurs vers leurs chefs : « Tutti i sottoposti li considerano benefattori, e neanche per un attimo nelle loro zucche vuote passa il concetto di essere sfruttati »[22].
A la différence donc des ouvriers des romans de Paolo Volponi, qui avaient la conscience d’être la classe sociale du prolétariat, ou de ceux de Balestrini, qui luttaient pour leurs droits, les « précaires » dont parle Murgia sont totalement privés d’une idée de « collectivité », ce qu’elle cherche à engendrer à travers son écriture. Son témoignage sert alors à dévoiler la tromperie cachée derrière chaque initiative de l’entreprise.
Les récompenses et les prix fixés pour les salariés, par exemple, ont le même but que les affiches motivationnelles : donner des illusions aux téléphonistes, les faire sentir importantes, leur donner des satisfactions qu’ils peuvent difficilement trouver dans des autres contextes : « Constantemente vengono imbottite dal concetto che quelle che vivranno questa esperienza sono persone di successo, realizzate. Esattamente quello che non si sentono »[23] .
Murgia laisse clairement entendre cela, en se servant de l’arme de l’ironie, à travers les mots du chef de la Compagnie, selon lequel les voyages offerts comme prix sont des expériences qui anoblissent la profession du téléphoniste : « Se vi chiedono cosa fate nella vita potete rispondere : ‘Faccio la telefonista, però ogni tanto mi faccio qualche viaggio’. Ragazze mie, ma quante sono le aziende che vi regalano un viaggio a niujork o a marbeja in un albergo a sei stelle solo perché fate il vostro dovere? Credetemi, nessuna! Queste sono le cose importanti della vita, quelle che sarete orgogliose di raccontare ai vostri figli!»[24].
Ces stratégies de la compagnie visent une sorte de perte de subjectivité et l’homologation de tous les salariés. Dans cette perspective, le concept d’écosophie, utilisée par Felix Guattari dans l’essai Les trois écologies[25], redevient actuel. Ce terme comprend l’écologie environnementale, l’écologie sociale (par rapport aux réalités économiques et sociales) et l’écologie mentale (par rapport au sujet). Cette dernière, en faisant référence au sujet opprimé par les nouvelles forces productives, peut être appliquée aux salariés dont parle Murgia. Déjà dans un entretien en 1992, le philosophe français parlait des conséquences tragiques que peuvent avoir la destruction de la subjectivité opérée par la société capitaliste.
« Ce qui m’intéresse, au contraire, c’est de resingulariser la subjectivité et pas forcément par des voies individuelles. […] Sans cette recomposition des agencements collectifs de subjectivité, on va obligatoirement vers une crise majeure de l’écologie mentale, de l’écologie sociale, et d’ailleurs, par contre-coup, de l’écologie environnementale. Mais pourquoi n’y aurait-il pas une nouvelle finalité des activités humaines et de la production économique tentant de valoriser ce type de recomposition du territoire existentiel ? »[26].
En retournant à l’œuvre de Murgia, je voudrais enfin dire quelques mots sur l’ironie présente dans le livre. Dans le texte on peut trouver souvent des situations comiques (par exemples des réponses absurdes de clients désireux de couper l’appel) et en général tout le livre adopte un registre stylistique ironique.
Cependant, il faut constater qu’il s’agit d’une ironie « amère », qui n’amuse pas l’auteur. La raison c’est que contre les injustices dont elle était victime, l’ironie reste la seule arme à sa disposition : « Credo che non mi diverta perché quell’ironia resta per me la voce della rabbia che provavo, l’unico modo che avevo per ridimensionare l’assurdità della situazione di cui ero diventata involontaria testimone […] riconosco che la scelta di quel registro era e rimane un atto di impotenza, molto più vicino alla rabbia che allo spasso […] »[27].
A. Celestini : un intellectuel très attentif aux problèmes du travail
Ascanio Celestini est un autre écrivain qui s’est récemment engagé dans la question du call center. Est étonnante sa polyvalence : acteur de théâtre, acteur cinématographique, écrivain, chanteur, il a aussi participé à de nombreuses émissions radiophoniques sur Radio 3, et à l’émission de télévision Parla con lei sur Rai 3.
Parmi ses thèmes préférés on trouve l’exploitation des travailleurs. Au moment de la composition de son Lotta di classe (2009), roman qui traite la précarité dans le monde du travail, surtout dans les modernes calls center, à la différence de Murgia, il est déjà un artiste affirmé qui s’était déjà précédemment engagé sur ces questions.
Il avait déjà réalisé par exemple Fabbrica (2002), spectacle théâtrale qui décrit en forme de lettre la vie ouvrière dans l’usine à partir de la fin du siècle XIX jusqu’aux années quatre-vingt-dix.
Ouvrage également engagé, Appunti per un film sulla lotta di classe (2006), une sorte de spectacle théâtrale-réflexion sur la précarité dans le travail aujourd’hui. Il s’agit justement de notes prises par l’auteur afin d’enquêter sur ce que signifie l’appartenance à une classe de nos jours. Selon Celestini ce n’est pas la culture qui permet à un individu d’appartenir à l’une ou à l’autre classe, mais seulement l’argent :
« Una volta le persone che appartenevano alle diverse classi sociali avevano anche culture diverse. Il ricco suonava Mozart, il povero ballava il saltarello. Oggi è possibile che sentano entrambi De André o D’Alessio, oggi la differenza è solo nei soldi »[28].
En 2007 il avait réalisé avec la Fandango un documentaire intitulé Parole Sante, qui raconte l’histoire du collectif organisé des travailleurs précaires de la société Atesia, situé dans la périphérie de Roma et leader dans le call center. Ils ont organisé des grèves, des manifestations et ont présenté une pétition à l’Office Départemental du Travail. C’est une forme de protestations que l’auteur a appréciée tout particulièrement et des allusions à cet événement sont aussi présentes dans Lotta di classe.
Ce roman naît donc dans un contexte complètement différent par rapport à celui de Murgia. Tandis que cette dernière avait seulement réalisé un blog et n’avait la moindre intention de le publier, Celestini compose son roman en vue d’une publication, et en plus il est déjà un artiste très connu qui croit que toute forme d’art puisse avoir des effets positifs sur les inégalités de l’actuelle société.
Une autre différence entre les deux œuvres est la forme/genre. Celle de Murgia est un témoignage direct d’épisodes vécus personnellement, une sorte de roman sous la forme de blog.
L’œuvre de Celestini, par contre, est un vrai roman qui a pour protagonistes quatre personnages inventés, Salvatore, Marinella, Nicola et Patrizia. Le livre est divisé en quatre chapitres, qui narrent les aventures de chaque personnage.
Même en racontant des histoires inventées, Celestini mène une dénonciation et une critique pas du tout inférieure à celle de Murgia. Une caractéristique que les deux ont en commun c’est l’ironie utilisée pour dénoncer les problématiques du monde du travail.
Il faut préciser que, à la différence de celui de Murgia, le roman de Celestini ne parle pas uniquement de travail. L’œuvre est centrée sur les épisodes les plus variés de la vie des protagonistes. Mais le travail c’est un thème bien présent dans toute l’œuvre : Salvatore ne travaille pas mais il observe avec appréhension le rythme frénétique du frère Nicola, qui travaille de nuit dans un call center. Marinella est employée dans le même call center, mais elle travaille le jour, et Madame Patrizia effectue dix boulots par jour.
Comparaisons, ironie et dénonciations dans Lotta di classe
Un des thématiques « clé » de toute la production artistique de Celestini c’est la précarité des travailleurs. Les protagonistes de son roman sont tous des précaires, figures désormais entrées stablement dans la récente littérature italienne.
La précarité, vrai emblème de la condition aliénée des actuels travailleurs, a été affrontée par la littérature contemporaine dans différentes modalités : dans la forme du roman-enquête, comme Mi chiamo Roberta, ho 40 anni, guadagno 250 euro al mese[29] (2006) de Aldo Nove, livre réalisé à partir des entrevues aux actuels travailleurs précaires ; comme livre-reportage, par exemple Mi spezzo ma non m’impiego[30] (2006) de Andrea Bajani ; ou encore en forme de collection de contes : il est intéressant de signaler la liaison entre littérature et syndicat dans l’œuvre Lavoro vivo[31] (2012), anthologie éditée par Stefano Tassinari et réalisée en collaboration avec la FIOM de Bologne.
Celestini, pour sa part, choisit de traiter le thème de la précarité dans un roman classique, et il le fait de façon indirecte et métaphorique.
Il utilise souvent des comparaisons : une plutôt inquiétante, dont se sert l’auteur à ce propos c’est entre les travailleurs précaires et les produits alimentaires à expiration.
L’habileté de Celestini c’est de placer cette comparaison en partant de la description d’une situation tout à fait tranquille et familière pour le lecteur : le voisin qui demande du lait ou du sel.
Ce sont plutôt la réponse et la réflexion du personnage Marinella qui apportent de l’inquiétude : elle dispose du sel mais elle n’a pas de lait ; la raison c’est parce qu’elle n’achète que des produits qui n’expirent pas. En faisant trois travaux par jour elle n’a pas le temps pour consommer les produits, et l’échéance pour elle est une véritable obsession.
L’expiration selon elle est un problème qui ne concerne pas seulement les produits alimentaires, mais aussi les italiens dont parle la télévision, les nouveaux pauvres, qui avec leur manque de travail, ou leur travail précaire n’arrivent pas à la fin du mois : « La fine del mese, la fine dell’anno, la fine del mondo in diretta televisiva. Tutti prodotti in scadenza. ».[32]
Une autre comparaison utilisée par l’écrivain, encore plus inquiétante, est la bombe à retardement.
Nicola, personnage employé depuis huit ans dans un call center, prend conscience que le moment de son licenciement est très proche, et en profite pour travailler nuit et jour en cherchant de gagner autant d’argent que possible. C’est lui-même qui exprime le tragique de sa situation à travers la comparaison avec la bombe :
« ... perché io sono un lavoratore a progetto. Significa che il primo giorno, appena assunto, arriva il padrone e mi mette una cosa in tasca.
Gli chiedo ‘Cos’è ?’.
‘Non ti preoccupare, è solo una bomba. Ma è a orologeria, non scoppia adesso, scoppia fra tre mesi’.
Allora mi rimetto a lavorare tranquillo. Penso che se scoppia fra tre mesi non è una bomba. Che sarà una bomba fra tre mesi »[33].
Nicola-même explique comment on travaille avec ce poids : d’abord on prouve beaucoup de tension et ensuite on cherche à ne faire plus trop attention à cela. C’est la même chose que les hommes qui vivent proche d’une station de train ou d’un aéroport. Ils ne font plus attention au bruit des trains ou des avions, ils s’y sont habitués, mais quand même ils ne vivent pas de façon tranquille, comme l’ami de Nicola, qui n’écoute plus le bruit des avions, mais dont la main tremble avant de boire le café.
Vers la fin du temps prévu, par contre, la pression de la « bombe » pour les travailleurs à projet est insupportable. Surtout la fin : « Quando manca un giorno alla scadenza del contratto il ticchettio è diventato spaventoso. Per non sentirlo devo tapparmi le orecchie »[34].
Quelques fois il peut se arriver que la « bombe » n’explose pas dans le délai des trois mois. Mais il s’agit juste, selon l’ironie de Celestini, d’un changement de bombe. C’est comme si le chef en substituant un contrat a progetto qui a expiré avec un nouveau contrat de trois mois, changeait une ancienne bombe avec une nouvelle.
D’autres fois, par contre, ces bombes peuvent vraiment « exploser ». Il peut s’agir des routines particulièrement humiliantes pour les employés. Par exemple, une des techniques utilisées pour les licencier est simplement de leur bloquer l’accès au réseau.
Enfin la bombe peut exploser directement dans les poches du chef : en Juin 2006 débarque dans le call center de Nicola l’inspection de l’Office Départemental du Travail, qui constate que sur quatre mille travailleurs seulement quatre cents avaient le contrat régulier. Tous les autres n’avaient qu’un contrat à projet.
C’est l’actualité qui entre dans un roman : Celestini fait référence ici à des histoires vrais, en particulier aux protestations des travailleurs de la société romaine de call center Atesia. Le 14 Juin 2006 il y a eu la circulaire n°17 du Ministre du Travail Damiano qui donnait des instructions précises sur l’activité d’inspection et cherchait à introduire une stabilisation pour les travailleurs précaires, avec référence particulier aux employés dans les calls center.
Les entreprises qui embauchaient les travailleurs légalement auraient eu des avantages ; par contre, les travailleurs devaient signer un « acte de conciliation » afin d’être engagés de nouveau. Ce dernier aspect est fort critiqué par Celestini, qui se sert d’une comparaison très dure et efficace en même temps : « Come se la polizia becca il ladro che mi porta via la borsetta e invece di metterlo in galera gli fa ‘vattene a casa, riconsegna la borsa, ma se vuoi tieniti il portafogli’ e al derubato gli dice ‘firma un documento nel quale giuri che non denuncerai questo borseggiatore sennò non ti ridiamo manco la metà di quello che t’ha fregato’ »[35].
Ceux qui ont signé la réconciliation n’ont gagné qu’un contrat à mi-temps de 550 euro par mois, somme avec laquelle, selon l’auteur, on peut à peu près se permettre un loyer mensuel dans une chambre partagée. Ceux qui n’ont pas accepté la réconciliation sont simplement à la rue.
La circulaire fait une distinction pour les employés dans les calls center entre les « outbound » et « inbound ». Les premiers sont ceux qui, comme les téléphonistes de Murgia, sont chargés de contacter le client, de l’appeler pour lui proposer par exemple des offres, des produits ou faire des enquêtes ou des sondages d’opinion. Les deuxièmes sont ceux dont le rôle est uniquement de répondre aux appels des clients et qui, selon la circulaire, doivent être encadrés avec des contrats en qualité de subordonnés.
Les téléphonistes de Celestini appartiennent à ce deuxième groupe. Le devoir de Nicola, par exemple, c’est uniquement de répondre aux questions des clients au téléphone.
Il gagne de l’argent en fonction des appels reçus : quatre-vingt-cinq centimes pour un appel qui dure juste deux minutes et quarante secondes. C’est le soi-disant « lavoro a cottimo », travail à la pièce, c’est-à-dire une forme de rétribution dans laquelle on est rétribué uniquement sur le base du résultat de son travail et non pas selon les heures de travail effectuées.
C’est incroyable ce que raconte Marinella, la collègue de Nicola. Elle parle d’une sorte d’amende (de cinq centimes) pour ceux qui dépassent la durée de deux minutes quarante ; c’est une histoire vrai qui fait référence encore une fois au call center Atesia, et Celestini exprime toute sa rage à travers son personnage: « Ma esiste un lavoro al mondo che funziona così ? C’è una catena di montaggio dove mi pagano dieci soldi per produrre dieci pezzi, ma mi pagano nove soldi se ne produco undici ? »[36].
Donc on pourrait même rester au travail pendant beaucoup d’heures sans rien gagner. Cela comporte une inquiétude constante pour le téléphoniste. Celestini est très habile dans l’analyse de la psychologie du salarié et son désespoir face au temps qui passe sans que le téléphone sonne :
« Chi ha detto che il tempo è denaro ? […] Io c’ho sempre il portafoglio vuoto, per me il tempo non passa mai. Il mio tempo diventa denaro solo quando disegno il pallino e lo seppellisco con una croce. Certe volte sto in attesa di una telefonata pure per mezza giornata e se non chiamano non guadagno niente. Quel tempo è tempo che passa ? ».[37]
Les difficultés de ces jeunes téléphonistes dont parle Celestini ont étés traitées par Pasquale Colizzi dans un article du quotidien l’Unità : « Si pensa di passarci un periodo, per pagarsi gli studi magari, e si resta per anni perché non ci sono prospettive all’esterno. A combattere con le telefonate da 2 minuti e 40 secondi (si viene pagati a cottimo e con limiti di durata) e assistenti di sala, pagati anche loro molto poco, che però giocano a fare i capetti e stanno dalla parte dell’azienda »[38].
Des mots encore plus forts à ce propos sont exprimés par Celestini directement sur son site internet :
Ci sono certi operatori del call center che stanno al telefono con la stessa crisi della presenza (cfr. De Martino, N.d.A) che attraversa uno che se ne va al funerale di suo fratello. Vanno a lavoro come si va a visitare una città bombardata. Rispondono al telefono, ma sono anestetizzati, colpiti dall’azzeramento che l’istituzione opera su di loro come una divinità antica e feroce che li rende ombre. Eppure ci vanno con leggerezza perché spesso manco lo considerano un lavoro, ma solo una maniera per racimolare qualche soldo[39].
La précarité peut changer l’identité des personnes; l’effet le plus tragique selon Celestini c’est le passage de la précarité dans le travail à une sorte de précarité existentielle : « il precariato non ti dà un’identità: nessuno di questi ti dirà mai ‘io sono un operatore di call center’. I contratti a progetto, i co.co.co. e tutte queste forme precarie ti dicono solo cosa non sei, perché fra l’altro spesso firmi un contratto che non corrisponde a quello che fai. È una dignità del lavoro che si è persa. E la precarietà del lavoro produce una precarietà esistenziale, materiale, legata a tutto quello che fai »[40].
Pour conclure, je dirai que Murgia et Celestini ont montré la même attention et la même habileté que les écrivains de la « littérature industrielle » dans l’analyse et la description des transformations que le monde du travail opère dans le tissu social italien. Leurs romans représentent de façon très réaliste la situation actuelle des jeunes travailleurs et leurs œuvres peuvent être considérées de nouvelles formes de dénonciation sociale. On ne se pas si dans quelques années on parlera de littérature de la précarité, mais ils ont déjà lancé le défi.
BIBLIOGRAPHIE
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Bianciardi Luciano, Vita agra, Milano, Rizzoli, 1993.
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Desiati Mario, Vita precaria e amore eterno, Milano, Mondadori, 2007.
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Fieni Marco, I satelliti del canone letterario. Il tema del lavoro nella lett. Ital. Contemporanea, Milano, Principato, 2010.
Guattari Felix, Les trois écologies, Éditions Galilée, Paris, 1989.
Murgia Michela, Il Mondo deve sapere, ISBN, Milano, 2006.
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Spinazzola Vittorio, Albeggia una letteratura postindustriale, Tirature 2000 - Romanzi di ogni genere - Dieci modelli a Confronto, Milano, Il Saggiatore, 2000.
Vittorini Elio, «Industria e Letteratura», Menabò, III, 4, 1961.
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Volponi Paolo, Memoriale, Milano, Garzanti, 1962.
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http://www.ascaniocelestini.it/appunti-per-un-film-sulla-lotta-di-classe-spettacolo/
http://www.ascaniocelestini.it/racconto-epico-di-un-secolo-di-lotte/
http://www.booksblog.it/post/6750/intervista-a-michela-murgia
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http://lesilencequiparle.unblog.fr/2012/06/16/vertige-de-limmanence-felix-guattari-entretien/
http://miojob.repubblica.it/notizie-e- servizi/notizie/dettaglio/articolo/2755738
http://www.polvereallapolvere.net/2012/06/intervista-michela-murgia.html
http://www.scuolaholden.it/Prova-documenti/intervista-murgia.pdf
http://www.teatrocivicoschio.it/spettacolo.asp?IDSpettacolo=45
[1] M. Murgia, Il mondo deve sapere. Romanzo tragicomico di una telefonista precaria, ISBN, Milano, 2006.
[2] E. Vittorini, « Industria e Letteratura», Menabò , III, 4, 1961.
[3] P. Volponi, Memoriale, Milano, Garzanti, 1962.
[4] L. Bianciardi, Vita agra, Milano, Rizzoli, 1993.
[5] N. Balestrini, Vogliamo tutto, Milano, Feltrinelli, 1971.
[6] M. Desiati, Vita precaria e amore eterno, Milano, Mondadori, 2007.
[7] Z. Zeta, Voice Center, Milano, Cairo Editore, 2007.
[8] A. Celstini, Lotta di classe, Torino,Einaudi, 2009.
[9] G. Fabiani, Yes we call-vita di un lavoratore call center, Cosenza, Periferia Edizioni, 2013.
[10] « Lorsque j’acceptai de le publier j’étais sure que personne ne l’aurait acheté, sauf peut-être mes parents», M. Murgia, Il Mondo deve sapere, op. cit., p. 138. [notre traduction].
[11] « Une déclaration de guerre », Ibid. p. 136.
[12] « Le passage du niveau interactif du réseau à la réception passive du livre imprimé est en réalité un changement radical qui ne concerne pas seulement le moyen, mais aussi le message », M. Murgia, « Iintervista a Michela Murgia », in Blogo, [http://www.booksblog.it/post/6750/intervista-a-michela-murgia], Site consulté le 05/05/2013.
[13] « Même si je n’avais pas du tout cherché un rôle représentatif, ils étaient toujours plus nombreux ceux qui espéraient que je puisse assumer ce rôle, et cela était pour moi une source d’anxiété véritable, à tel point que au début j’ai pensé me soustraire, d’expliquer que la chose nous a échappée des mains, que ce livre-là n’était pas né comme projet syndical, et surtout, que je ne faisais pas des reportage pour métier, mais tout simplement la concierge dans un hôtel… », M. Murgia, Il mondo deve sapere, op. cit., p. 139.
[14]« Il a été dans ce moment-là que j’ai décidé de prendre sérieusement le risque de la représentativité et toutes ses conséquences. […] C’étaient ces mots-là qui m’ont éclairci la perspective des horizons sombres que nous côtoyons aujourd’hui», Ibid., p. 141.
[15] La loi Biagi, approuvée le 5 février 2003 et inspirée aux idées et aux études du professeur Marco Biagi, réalisait une réforme du marché professionnel italien. Le principe inspirateur de cette loi est la volonté de réagir à la crise économique par une plus grande flexibilité des travailleurs, à travers la modification des contrats qui existaient déjà ou l’introduction de nouveaux types de contrat de travail, comme par exemple : l’emploi à temps partiel ; le travail ‘a progetto’ [à projets], l’apprentissage, le travail ‘accessorio’ [accessoire], dont la durée ne dépasse pas trente jours au cours de l’année ; le travail réparti, par lequel deux travailleurs s’engagent à accomplir une seule prestation de travail ; le travail ‘intermittente’ [intermittent], qui prévoit des prestations de caractère discontinu.
[16] « une responsabilité dont il faut constamment rendre compte », M. Murgia, « Intervista a Michela Murgia », in Scuolaholden, [http://www.scuolaholden.it/Prova-documenti/intervista-murgia.pdf]. Site consulté le 12.10.2012.
[17]« bouleversante : face aux nouveaux problèmes du monde du travail, la crise de représentativité des vieilles institutions paressait totale et irréversible » , M. Murgia, Il mondo deve sapere, op. cit. . p. 143.
[18] « Travail d’équipe: la façon dans laquelle les gens ordinaires obtiennent des résultats pas ordinaires », M. Murgia,
Il mondo deve sapere, op. cit., p. 7.
[19]« C’est quand tu arrêtes de penser que tu n’y arriveras pas que tu peux vraiment y arriver. Pense en victorieux », Ibidem, p.7.
[20] « constituent un véritable assaut au ‘Moi’», Id., p. 89.
[21] « C’est une chose très belle et effrayante en même-temps. Aucune des filles ne s’aperçoit de la manipulation […] s’agit d’une bande de malfaiteurs et je suis la seul qui voit cela. C’est bon, le moment de la conscience collective viendra », Ibid., p. 15.
[22] «Tous les salariés les considèrent des bienfaiteurs, et l’idée d’être exploités ne passe jamais dans leurs têtes vides, même pas un instant », M. Desiati, Vita precarie e amore eterno, op. cit, p. 100.
[23] «Elles sont continuellement bourrées par le concept que celles qui vivront cette expérience sont personnes de succès, réalisées. Exactement ce qu’ils ne ressent pas »,Ibid., p. 23.
[24] « S’ils vous demandent ce que vous faites dans la vie, vous pouvez répondre: ‘Je fais la téléphoniste, mais quelque fois je fais quelque voyage’. Mes chéries, il y a combien d’ entreprises qui vous offrent un voyage à ‘Niujork’ou a ‘Marbeja’ dans un hôtel à six étoiles seulement parce que vous faites votre devoir ? Croyez-moi, aucune ! Ce sont les choses importantes de la vie, celles qui vous serez fières de raconter à vos enfants. », Ibid., p. 86.
[25] F. Guattari, Les trois écologies, Paris, Editions Galilée, 1989.
[26] F. Guattari, « Derniers entretiens », in Vertige de l’immanence.
[http://lesilencequiparle.unblog.fr/2012/06/16/vertige-de-limmanence-felix-guattari-entretien/]. Site consulté le 11/05.2013.
[27]« Je crois que cette ironie ne m’amuse pas, puisqu’elle reste pour moi la voix de la rage que j’éprouvais, la seule façon que j’avais pour traduire l’absurdité de la situation dont j’étais devenue témoin involontaire […] je reconnais que le choix de ce registre-là était et reste un acte d’impuissance, beaucoup plus proche de la rage que de l’amusement », M. Murgia, Il mondo deve sapere, op. cit., p. 135.
[28] « Une fois les personnes qui appartenaient à différentes classes sociales avaient des cultures différentes. Le riche jouait du Mozart, le pauvre dansait la saltarelle. Aujourd’hui c’est possible que les deux écoutent De André ou D’Alessio, aujourd’hui la différence est uniquement dans l’argent », A. Celestini, « Appunti per un film sulla lotta di classe », in Ascaniocelestini.it, [http://www.ascaniocelestini.it/appunti-per-un-film-sulla-lotta-di-classe-spettacolo/]. Site consulté le 08.05.2013.
[29] A. Nove, Mi chiamo Roberta, ho 40 anni guadagno 25O euro al mese, Torino, Einaudi, 2006.
[30] A. Bajani, Mi spezzo ma non mi’mpiego, Torino, Einaudi, 2006.
[31] Lavoro Vivo, Ou. Col., Roma, Edizioni Alegre, 2012.
[32] « La fin du mois, la fin de l’année, la fin du monde en direct à la télé. Que des produits à date de péremption », A. Celestini, Lotta di classe, op. cit., p. 62-63 ; trad. fr. Lutte des classes, traduit par Christophe Mileschi, Montricher, Éditions Noir sur blanc, 2013, p. 74.
[33] « je suis un travailleur à durée déterminée. Ça veut dire que le jour de mon embauche, dès que j’arrive, le patron se pointe et il me met quelque chose dans la poche. Je lui demande : ‘Qu'est-ce que c'est?’
‘Ne t’en fait pas, c’est juste une bombe. Mais à retardement, elle ne va pas exploser tout de suite, elle explosera dans trois mois’.
Alors je me mets au boulot tranquille. Je pense que si elle doit exploser dans trois mois, ce n’est pas une bombe. Que ce sera une bombe dans trois mois’ », A. Celestini, Lotta di classe, op. cit., p. 128-129 ; trad. fr. Lutte des classes, op. cit., p. 150.
[34] « À un jour de la fin de mon contrat le tic-tac devient effrayant. Pour ne pas l’entendre, je dois me boucher les oreilles », A. Celestini, Lotta di classe, op. cit., p. 131 ; trad. fr. Lutte des classes, op. cit., p. 153.
[35] « Imaginons que la police attrape le voleur qui m’a chouravé mon sac. Au lieu de le mettre en prison elle lui fait : ‘rentre chez toi, rends-nous le sac que tu as volé, mais si tu veux, tu peux garder le portefeuille’, après quoi elle me dit ‘ signe ce papier où tu jures que tu ne porteras pas plainte contre le voleur, sinon on ne te rendra même pas la moitié de ce qu’il t’a piqué », A. Celestini, Lotta di classe, op. cit., p. 152 ; trad. fr. Lutte des classes, op. cit., p. 177.
[36] « Est-ce qu’il existe un autre travail au monde qui marche comme ça ? Une chaîne de montage où on me paye dix sous pour produire dix pièces, mais où on me donne que neuf sous si j’en produis onze? », A. Celestini, Lotta di classe, op. cit., p. 84 ; trad. fr. Lutte des classes, op. cit., p. 99.
[37] « Qui a dit que le temps, c’est de l’argent ? […] Moi mon portefeuille est toujours vide, pour moi le temps ne passe jamais. Mon temps ne devient de l’argent que quand je trace un cercle et que je l’enterre sous une croix. Des fois j’attends un appel une demi-journée entière et si personne n’appelle je ne gagne rien. Ce temps-là, c’est du temps qui passe ? », A. Celestini, Lotta di classe, op. cit., p. 123 ; trad. fr. Lutte des classes, op. cit., p. 144.
[38] « On pense y passer une brève période de temps, peut-être pour se payer des études, et on y reste des années parce qu’il n’y a pas de perspectives à l’extérieur. A combattre, avec les appels de 2 minutes et 40 secondes (on est payé à la tâche et avec des limitations de durée) et des assistants de salle, eux aussi très mal payés mais qui jouent aux petits chefs et sont du côté de l’entreprise », P. Colizzi, Piccolo manuale di resistenza nei call center, L’Unità, 26/10/2007.
[39] « Il y a certains opérateurs du call center qui vivent au téléphone la même crise de la présence que traverse celui qui se rend aux funérailles de son frère. Ils vont au travail comme on va visiter une ville bombardée. Ils répondent au téléphone, mais ils sont anesthésiés, touchés par l’anéantissement que l’institution opère sur eux, comme une divinité antique et féroce qui les transforme en ombres. Pourtant, ils y vont avec légèreté puisque souvent ils ne le considèrent même pas comme un travail, mais seulement comme une façon d’amasser quelques sous », A. Celestini, « Appunti per un film sulla lotta di classe », [http://www.ascaniocelestini.it/appunti-per-un-film-sulla-lotta-di-classe-spettacolo/], Site consulté le 12/10/2012.
[40] La condition de précaire ne te donne pas une identité : personne ne dira jamais ‘je suis opérateur dans un call center’. Les contrats à projet, les co.co.co et toutes ces formes de précarité disent seulement ce que tu n’es pas, parce que, en outre, tu signes souvent un contrat qui ne correspond pas à ce que tu fais. C’est une dignité du travail qui s’est perdue. Et la précarité du travail produit une précarité existentielle, matérielle, liée à tout ce que tu fais », A. Celestini, in « Ascanio Celestini, ‘Parole sante’ contro il precariato storie di co.co.pro alla ricerca dell’identità perduta », propos recueillis par Pietro Scarnera, La Repubblica.
[http://miojob.repubblica.it/notizie-e-servizi/notizie/dettaglio/articolo/2755738]. Site consulté le 19/10/2012.