N°2 / Regards de jeunes chercheurs sur l'art et la littérature d'Italie et d'ailleurs

L’œuvre de Carmine Abate : une lecture écocritique

Vittorio Valentino

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Vittorio Valentino

L’œuvre de Carmine Abate : une lecture écocritique

 

Migrer, en Méditerranée comme ailleurs, signifie bien entendu quitter un lieu, puis tenter de retrouver un équilibre au sein d’un autre ; des lieux qui assument un caractère fondamental car ils sont partie intégrante de l’inconnu devant  soi. Migrer peut signifier aussi quitter une région qui a été dévastée du point de vue économique mais aussi écologique : le rapport aux lieux pèse ainsi dans la construction du sujet migrant, avant et après la migration.  C’est  précisément  ici  que  la  migration  et  la littérature rencontrent une forme d’écologie sociale, car selon Serenella Iovino : « Les formes de  connaissance  en général, qu’elles soient  humanistes  ou  scientifiques, ont une  influence  sur  les  conditions  de   vie  des  hommes  et  sur  leur  environnement », l’écocritique est alors une forme d’activisme culturel, d’éthique écologique au secours de  questions  théoriques  et  sociales  liées  à  la  relation  homme-environnement.  Une idée de culture et d’éducation à l’environnement, comme instrument pour répondre à des questions éthiques.1
Je me suis alors demandé :
    -     Quel auteur porte dans son œuvre ces thèmes de façon constante et engagée ? Quel auteur migrant voyage à l’intérieur d’un espace à protéger, un espace vivant qu’il observe constamment de façon critique ?
       Cet auteur est, selon moi, Carmine Abate car son œuvre et son vécu d’auteur migrant, répondent à ces questions, tout en posant d’autres problématiques.
       Né  en  1954  à  Carfizzi  près  de  Crotone,  Abate  est  issu  de  la  communauté arbëresh  qui  descend  des  Albanais  émigrés  en  Calabre  et  dans  le  Sud  de  l’Italie  au XVe siècle pour fuir  l’occupation  ottomane :  c’est  l’un des plus grands peuples sans nation,  mais  qui  toutefois  possède  un  lien  indissociable  et  intemporel  avec  sa  terre d’origine.   Cet   élément,   comme   nous   le   verrons,   est   essentiel   pour   définir   et comprendre l’écriture d’Abate.
      Abate part à la fin de ses études supérieures en Allemagne, à Hambourg, où son père avait déjà émigré. C’est ici qu’il commence à enseigner dans une école pour les enfants d’immigrés et qu’il publie ses premiers ouvrages comme Die Germanesi, storia e vita di una comunità calabrese e dei suoi migranti (1986).
       Il   retourne   en   Italie   dans   les   années   90   et   parallèlement   à   son   emploi d’enseignant,  il  poursuit  son  activité  d’écrivain.  C’est  à  cette  époque  qu’il  publie  de nombreux romans comme La moto di Skanderbeg (1999), Tra due mari (2002), La festa del ritorno (2004), Il mosaico del tempo grande (2006).
      En  prenant  en  considération  ici  deux  de  ses  derniers  travaux,  Vivere  per addizione e altri viaggi (2010) et La collina del vento (2012), nous allons retrouver une écriture qui réunit les dimensions écologique et littéraire.
      Le contexte social de son écriture est caractérisé par l’émigration vers l’Amérique et le Nord de l’Europe qui a vidé une grande partie des villages arbëresh au Sud de l’Italie.
      Dans ses romans, ses poésies, finalement dans tous ses écrits, l’auteur traite de l’expérience migratoire, des origines culturelles, en abordant des problématiques très complexes liées à des lieux toujours très marqués par la présence de la nature.
       La vie de ses personnages s’articule en effet autour du thème du voyage- migration, qui a un caractère épique pour le peuple arbëresh des origines, mais aussi formateur, dans leur construction personnelle, enrichi d’une dimension familiale – très importante ici – à l’intérieur de la communauté villageoise.
      Ce peuple a gardé intacte sa relation au lieu premier et, à travers celui-ci, s’est constitué une mémoire qui actualise les valeurs anciennes et les transmet entre les mains des générations à venir. Un voile mythique se crée autour des gestes des premiers Albanais, de ses héros, du périple et de la fuite de la terre d’origine jusqu’à l’arrivée dans un lieu semblable à l’Albanie, par sa nature luxuriante.
      Quitter un lieu chargé de valeurs identitaires demeure une expérience marquante mais qui peut être positive, car elle peut créer une nouvelle dimension à cheval entre la sauvegarde des valeurs et une ouverture vers une dimension interculturelle. En ce sens, il est nécessaire d’observer l’expérience de Tzvetan Todorov liée à sa situation de migrant bulgare à Paris :

Mon état actuel ne correspond pas à la déculturation, ni même à l’acculturation, mais plutôt à ce qu’on pourrait appeler la transculturation, l’acquisition dun nouveau code sans que l’ancien soit perdu pour autant. Je vis désormais dans un espace singulier, ni dehors ni dedans.2

      Cette nouvelle relation aux lieux dont parle Todorov est tout aussi visible dans la communauté arbëresh, insérée dans la complexité et l’hétérogénéité de l’espace méditerranéen, où la mer est le symbole de l’espace qui a été franchi, en vue d’un nouveau commencement.
      La migration assume une signification plus que profonde, car elle entraîne un déchirement, elle est effectivement perçue comme une « cassure », du moins du point de vue des valeurs, dans cette société arbëresh semi-fermée. Car le migrant brise l’équilibre durement acquis par un peuple au cours d’une longue période d’adaptation, comme nous l’explique Raffaele Taddeo :

In tutti i romanzi il tema della migrazione è presente come "infrazione". Ne Il ballo tondo e La festa del ritorno questa funzione narrativa è evidente, è una infrazione che proprio come nelle fiabe genera situazioni negative che necessitano di atti riparatori perché si ritorni ad un equilibrio. È evidente che l’"infrazione migratoria" deve essere riparata da un ritorno anche se temporaneo.3

Cette « cassure » est le symbole d’une sorte de fin, la fin d’un monde. La séparation opérée par l’exil, entre le migrant et le monde du village, celui de la communauté culturelle, a comme résultat ce que l’ethnologue Ernesto De Martino, appelle « le non-être de la présence » ; concept opposé à celui de la présence comme possibilité d’action sur le monde.
      La perte du lien avec la communauté, avec la nature, plonge le sujet dans l'impossibilité d'être dans un monde historiquement possible. Commence alors la quête d’une « écologie du sujet » : en effet, afin de dépasser la crise et l’aliénation du sujet,  il  s’avère  nécessaire,  selon  De  Martino,  son  retour  vers  un  horizon  de   vie commune, aux rites collectifs qui, même si pendant un moment, peuvent briser l’isolement qui s’est créé.
      Qu’ils soient situés au bord de la Méditerranée, ou plus loin, vers le Nord de l’Europe, les lieux et leur sauvegarde sont au centre de l’œuvre d’Abate, dans une dimension à la fois littéraire et sociale, où la mémoire et l’écologie prennent une place centrale.
      Hora, le village des origines, se confond désormais avec les villages calabrais, comme Roccalba, Carfizzi, Crotone mais aussi Hambourg en Allemagne ; une autour de l’idée de « chez soi », entre des lieux qui s’unissent jusqu’à se mélanger : Abate les définit lui-même comme : « liés l’un à l’autre comme un homme et son ombre ».

Dans  le  recueil  de  nouvelles  autobiographiques,  Vivere  per  addizione  e  altri viaggi (2010), Abate ressent l’exigence d’approfondir ce qu’il appelle des moments de « vraie vie » et traite ainsi, entre autre, des mutations sociales qui ont eu lieu dans son village natal, avec l’arrivée des immigrés, mais aussi des dégradations que subit sa terre d’origine : le récit « Le parole non costano niente » exprime cet engagement pour l’écologie, à l’intérieur d’une écriture déjà dense et marquée par le phénomène migratoire.
        Il évoque la question de la légalité, à travers un événement réel, un projet de construction d’un méga village vacance, Europaradiso, proposé par un entrepreneur israélien : une « grande occasion » pour la ville de Crotone, au milieu d’une zone naturelle « incontaminata », non polluée, un désastre écologique en puissance, qui a fini par être annulé, car il avait suscité l’appétit de la mafia calabraise, qui y voyait une autre voie d’enrichissement et de blanchiment d’argent.
      Dans cette nouvelle Abate raconte un de ses retours au village et sa rencontre avec Nicola, un ami d’enfance qui, indigné et inquiet, l’amène voir le futur site de Europaradiso, un projet né au sein d’une société fortement marquée par le chômage, le plus grand fléau de cette région :

È stato lui che mi ha fatto conoscere gli incanti e i disincanti della nostra provincia : la solitudine antica di Capo Colonna, il castello superbo dentro il mare di Le Castella, le grotte misteriose di Verzino, il paese abbandonato di Acerenthia, le discariche abusive a cielo aperto, le fabbriche arrugginite di Crotone, i loro rifiuti tossici e radioattivi nascosti sotto innocenti collinette verdi o riciclati come materiale edile per piazzali di scuole e per edifici pubblici...4

Ici sont condensées, à la fois, les peurs face au désastre écologique et les questionnements intimes liés à la perte d’identité devant ces changements qui surviennent en l’absence du sujet migrant. Les bouleversements liés à l’écologie et à  la situation sociale donnent lieu à des doutes et à des problématiques, qui semblent inextricables :

Qui da noi c’è questa fame atavica di lavoro, un’emigrazione che non si arresta, paesi agonizzanti, e le cifre ballerine ti stordiscono, sono così enormi che la nostra mente non le può contenere, [...] Il lavoro, dunque : in tanti annuiscono entusiasti, soprattutto i politici, il sindaco di allora in prima fila. Come puoi dire no a chi promette di risolvere i tuoi problemi? [...] Abbiamo davvero bisogno di ulteriori colate di cemento sulle bellezze nostre? Non dovremmo invece valorizzare ciò che possediamo?5

 

Abate est à la recherche d’un équilibre, même précaire, entre la préservation du lieu d’origine et celle de l’identité, et dans ce contexte, la question de la migration et l’écologie se rencontrent, car dans cet étourdissement provoqué par le mal-être social, naissent des incompréhensions et des différends, entre les habitants et les anciens émigrants qui, une fois loin, se rendent «coupables d’abandon ». En effet, Nicola, dans un sursaut rageur, reproche à l’auteur d’être parti et l’accuse de ne plus avoir à cœur l’avenir de son village et de sa région ; d’appartenir à une catégorie de traîtres, qui ont abandonné le territoire, et de surcroît, sa sauvegarde, il nous dit :

 

Sì, me l’aspettavo, voi che partite non sapete mai niente, non vi interessa più nulla di quello che succede da noi. [...] Quello che so è che dobbiamo combattere da soli, nessuno ci dà una mano, i politici pensano solamente a come mantenere il loro potere, [... ] e noi non abbiamo più aria pulita da respirare, soffochiamo, e voi ve ne andate per i cazzi vostri e poi tornate qualche settimana in estate per mettervi la coscienza a posto...

Ma cosa stai dicendo? Che pretendi da chi è stato cacciato da questa terra [...] Cosa può fare uno che vive lontano più di mille chilometri da qui ?6

 

Cependant, chez Abate, sa condition d’écrivain migrant a une profonde influence sur ses créations ; sa mobilité coïncide avec sa vision du monde qui est transmise dans la nature même de ses personnages. Le fait de s’arrêter dans un lieu ou de continuer à se déplacer, s’impose comme un choix crucial pour sa vie et son écriture.
       Dans la dernière nouvelle du recueil, « Vivere per addizione », Abate définit la dimension intime de l’« addiction aux lieux », il évoque son balancement perpétuel entre Nord et Sud, sa recherche d’une place où pouvoir vivre et écrire.
       Sa démarche est très significative, car il choisit de s’installer volontairement à mi-chemin entre son lieu d’origine et son lieu de migration, pour rester enraciné à ces deux endroits qui constituent à jamais son identité multiple. Trouver cet équilibre signifie, pour lui, transmettre son expérience à travers l’écriture, ce qui témoigne d’un besoin vital :

 

Fu così che approdai in Trentino, [...] Da questa posizione privilegiata è possibile vivere e raccontare il Sud e il Nord dell’Europa con distacco e passione, perché il Nord et il Sud sono lontani dai tuoi occhi, ma al tempo stesso presenti e mescolati nella terra di mezzo. Qui puoi trovare il meglio dei due mondi e vivere in una nuova realtà che è simbiosi e sintesi di essi, arricchendoti culturalmente e umanamente giorno dopo giorno.7

 

L’auteur ne se présente pas comme un déraciné mais au contraire comme une synthèse de plusieurs enracinements entre la Calabre, le Nord de l’Italie et l’Allemagne.
      Des déplacements frénétiques pendant lesquels il revendique avec ferveur son refus de choisir entre sa culture d’origine, son village et ses racines arbëresh, son passé allemand et sa vie dans un petit village du Nord de l’Italie, sa vie « suspendue » dans un non-lieu et une identité pas tout à fait définie :

Ma ora non posso e non voglio più tornare indietro. Voglio vivere per addizione, miei cari, senza dover scegliere per forza tra Nord e Sud, tra lingua del cuore e lingua del pane, tra me e me.8

 

Le recueil se termine dans ce village du Nord de l’Italie où l’auteur, apaisé, se questionne sur l’attraction quasi surnaturelle que peuvent exercer les lieux sur les hommes, se demandant : « […] che siano i luoghi a cercare le persone e non viceversa ? ».
      Cette perspective relationnelle nous amène vers les théories de Kenneth White, poète et penseur contemporain, il élabore la notion de « géopoétique » qu’il résume ainsi :

 

La géopoétique est une théorie-pratique transdisciplinaire applicable à tous les domaines de la vie et de la recherche, qui a pour but de rétablir et d’enrichir le rapport Homme-Terre depuis longtemps rompu, avec les conséquences que l’on sait sur les plans écologique, psychologique et intellectuel, développant ainsi de nouvelles perspectives existentielles dans un monde refondé. 9

 


Kenneth White met en avant la notion d’« essentialité » au sein d’un groupe social, il considère la « Terre » comme élément rassemblant tous les sujets, dépassant les différences sociales, morales, religieuses ou ethniques. Il est le point d’ancrage entre errance et relation aux lieux, car pour lui sa propre identité réside dans cette même errance, qui trouve un reflet dans sa poétique et dans sa vision du monde, qui l’éloigne des conventions et des définitions ethniques précises qui enferment le sujet.
        
 Dans l’avant-dernière œuvre d’Abate, La collina del vento, nous retrouvons la quête d’une dimension intime avec la nature. Il est question, ici, de l’influence des lieux au sein de l’expérience migrante, dans ce roman qui retrace une histoire familiale, autour d’un lieu mythique, Rossarco, une colline luxuriante et riche d’histoire.
      Cette colline renferme en elle plusieurs secrets : parmi lesquels la présence de Krimisa  une  ville  mythique  datant  de  la  Magna  Grecia,  fondée  par  un  groupe  de Grecs, elle est au centre du travail de Paolo Orsi, un archéologue qui va tenter, dans les années 1910, de la ramener à la lumière.
        La colline est un contenant dans lequel sont renfermées les histoires de la famille Arcuri qui l’habite, racontée sur trois générations : un lieu qui voit se dérouler l’histoire italienne, à travers des événements historiques et sociaux liés à la guerre mondiale, au fascisme, à la réforme agraire, jusqu’à notre époque, avec la question de l’implantation des éoliennes sur cette « colline du vent ».
        
L’auteur célèbre le lien entre ce lieu et l’histoire antique, un équilibre fondamental pour le déroulement de l’histoire :

 

Krimisa era una piccola città della Magna Grecia e sorgeva su una collina tra l’attuale Cirò  e  il  mar  Jonio.  Secondo  lo  storico  Strabone,  a  fondarla  fu  il  famoso  arciere Filottete, che veniva dalla Tessaglia e aveva combattuto nella guerra di Troia. [...] Non gli fu difficile scegliere dove costruire la sua nuova città perché i luoghi ti attraggono come  le  persone,  ti  seducono  con  il  loro  sguardluminoso,  la  lingua  di  vento,  il profumo mai sentito prima.10

 

La personnification de la colline accroît le sentiment d’attachement et de dépendance des lieux ressentie par les personnages, surtout masculins, de génération en génération.
        Le départ est vécu comme un déchirement : les protagonistes ne partent pas vers d’autres lieux pour travailler, comme dans les romans précédents, mais luttent pour rester proches de la colline et de Spillace, leur village.
       Seul Rino, appartenant à la dernière génération, doit s’éloigner à cause des menaces que subissent ses parents, lesquels refusent la construction d’un village vacance sur leur colline. Il acceptera de vivre au Nord de l’Italie, dans le Trentin, à l’image de la vie et des sentiments d’Abate, et tous deux, semblent se rendre à l’évidence :

 

La  verità  è  che  i  luoghi  esigono  fedeltà  assoluta  come  degli  amanti  gelosi :  se  li abbandoni, prima o poi si fanno vivi per ricattarti con la storia segreta che ti lega a loro; se li tradisci, la liberano nel vento, sicuri che ti raggiungerà ovunque, anche in capo  al  mondo.  Ecco  cosa  ho  capito  quando  mio  padre  mi  ha  ricordato  in  maniera sbrigativa, alla sua maniera, che la collina del Rossarco reclamava la mia presenza.11

 

À  la  différence  des  romans  La  festa  del  ritorno  (2004),  ou  Il  mosaico  del tempo grande (2006), le retour ne se fait plus au sein d’une communauté, mais vers un  lieu  précis,  le  Rossarco,   dont  le  paysage   incarne  l’union  familiale,  élément essentiel qui fonde et renforce la subjectivité.
        Nous pouvons ressentir à première vue un déclin du sentiment communautaire, car l’attention est totalement portée sur le monde paysan, à la terre et au rapport « intime » avec sa colline, le vent et la nature : le lieu d’origine est devenu un personnage doté d’un corps, et même d’une volonté, tel un être à retrouver et à défendre, un bien commun à protéger. Le préserver signifie sauvegarder la mémoire des événements que s’y sont déroulés.
         Une volonté de préservation traverse tout le roman et fait écho à l’engagement de l’auteur, depuis toujours préoccupé par les projets visant à détruire le patrimoine naturel calabrais. Les hommes de la famille devront faire face au danger d'une expropriation et Michelangelo, le dernier encore à vivre sur la colline, refuse l’installation d’éoliennes sur sa colline, là où Paolo Orsi avait commencé des fouilles archéologiques. En souvenir de ce dernier, Michelangelo affirme :

Se sapesse come vengono aggredite le nostre colline oggigiorno, si rivolterebbe nella tomba : altro che parchi archeologici, qui stanno nascendo parchi eolici e pattumiere dappertutto.  Per  non  parlare  delle  coste  ormai  deturpate  dal  cemento  e  dalle  case abusive. [...] La nostra collina è salva per il momento, ma i dintorni, i bei paesaggi che i forestieri ci invidiavano?12

      À la fin de l’histoire au cours d’un éboulement la colline s’ouvre, pour révéler ses antiques vestiges grecs gardés dans ses entrailles. La personnification du Rossarco est complète : la colline assume les traits d’une mère mettant au monde ce qu’elle a gardé de plus précieux, au centre d’un rapprochement entre les sujets.
      L’intrigue permet de concentrer l’attention du lecteur sur ce territoire : Abate traite de la relation indissoluble entre le sujet et la nature, à travers le lieu d’origine. Partir signifie couper ce cordon nécessaire avec cette colline maternelle et avec le passé. Le retour est motivé par un besoin « géographique » de préservation de cet espace, l’appel du lieu n’est autre que celui du sang, du père, car le lieu et les membres de sa famille se confondent dans une même dynamique et dans un profond sentiment identitaire.
      Dans la Méditerranée représentée par Carmine Abate, le départ du lieu d’origine est synonyme de déchirement physique et psychologique. L’écriture est le moyen d’éviter la perte de soi : à travers elle l’auteur revendique ses choix, sa liberté, son déracinement volontaire, et son refus d’une identité figée.
      Abate reprend un modèle d’engagement constant sur les questions qui concernent le Sud de l’Italie avec un regard sur la modernité, et son écriture vise clairement à la préservation des valeurs et des lieux, mettant en relation sujet migrant et écologie.
       Ce rapport privilégié qui naît à travers l’écriture entre le lieu et la création poétique n’est possible, selon Édouard Glissant, qu’à travers une vision du monde dans sa totalité, d’où l’apparition de ce qu’il définit un « lieu commun », « ce sont littéralement des lieux où une pensée du monde rencontre et confirme une pensée du monde ».
       Selon Glissant, cette « pensée commune » s’établit autour de l’expression poétique et littéraire, et dans la conjoncture actuelle, cette vision globale du monde est possible à l’aide des médias :

Avoir une poétique de la totalité-monde cest lier de manière rémissible le lieu, d’où une poétique ou une littérature est   émise,   à la   totalité-monde   et   inversement. Autrement dit, la littérature ne se produit pas dans une suspension, ce nest pas une suspension en l’air. Elle provient dun lieu, il y a un lieu incontournable de lémission littéraire, mais aujourd’hui l’œuvre convient dautant mieux au lieu, qu’elle établit une relation entre ce lieu et la totalité-monde.13

 

      Les mots de Glissant et l’écriture de Carmine Abate mettent en lumière l’importance de la relation entre écriture lieux et sujet, et s’insèrent dans une démarche écocritique, dans laquelle l’écologie est une valeur refuge pour l’homme qui, malgré la modernité, avec son écrasante vitesse, ne peut en aucun cas se détacher complétement du lieu d’origine, de sa relation avec la nature, à la recherche en somme, d’une « écologie du sujet ».
Abate, par sa démarche personnelle de construction d’une identité multiple et de préservation de son lieu d’origine, fait preuve d’une « éthique environnementale » qui confère un caractère « sacré » au lieu d’origine. A travers sa « personnification », l’auteur adresse au sujet migrant un appel implicite au retour, de temps à autre, vers le lieu d’origine, afin de retrouver une forme d’équilibre - qu’il a perdue lors de son départ - avec la nature et avec l’environnement. Car le lieu de départ, souvent rural chez l’auteur, s’oppose au lieu d’émigration qui demeure, idéalement, un espace dans lequel la nature est écrasée par la technique et les valeurs marchandes.
      Cependant, Abate est conscient de la vraie dynamique de ce retour : il ne peut être qu’occasionnel, un éphémère instant réparateur, car il sait qu’aucun retour définitif n’est possible ; il ne serait qu’une inutile tentative de mouvement en arrière, qu’une mise en scène à travers laquelle émerge un problème bien plus profond, celui de l’identité. En effet, dans sa poétique Abate semble conscient qu’il existe une relation étroite entre l’issue décevante du retour, la nouvelle « singularité » du migrant et les mutations de la société survenues en son absence.
       Le retour, qu’il soit générationnel ou individuel, porte en soi un désir tourmenté de conservation du passé par le sujet, qui ne se reconnaît pas dans les transformations de son monde : Abate détourne cette illusion par une vision positive de la modernité, qui se concrétise dans l’observation du phénomène puis dans l’action, en faveur de la communauté et de la nature. Le migrant renouvelle ainsi sa relation avec une identité jusque-là prisonnière du passé.
      Si Abate considère l’identité comme le résultat provisoire d’un processus et d’un parcours nomade, fruit d’un système relationnel et de variables complexes (communauté, famille, traditions, religion, lieux, langue…), ce n’est pas le retour au lieu d’origine qui « certifie » en quelque sorte son authenticité, mais le dévouement vers ce même lieu.
        Le sujet migrant, dans ce cas l’écrivain, enrichi par l’expérience de son errance, peut entreprendre une démarche écocritique en s’engageant, grâce à sa nouvelle subjectivité et à son ouverture, en faveur de la préservation des richesses du lieu d’origine.
       De cette manière, il contribue à la défense de son environnement contre les attaques qui visent à sa marchandisation permanente, mais aussi contre les citoyens eux-mêmes, parfois victimes et coupables à la fois des déboires économiques qui pèsent sur les régions en difficulté et détruisent l’équilibre homme-nature.
       Ainsi, il est encore plus urgent d’« éduquer », comme le fait l’auteur, les membres de cette même communauté à la défense de leur propre environnement, en les mettant face aux conséquences désastreuses de l’abandon de leur territoire. Ce dernier est enfin perçu comme un bien commun, une ressource précieuse : ainsi le roman contemporain contribue, en quelque sorte, à l’avènement d’un profond changement dans l’esprit de chacun, pour une véritable prise de conscience environnementale.

 

1 Serenella IOVINO, Ecologia letteraria. Una strategia di sopravvivenza, Milano, Edizioni Ambiente, 2006, p. 13-15.

2 Tzvetan TODOROV, L’homme dépaysé, Paris, Seuil, 1996.

3 Raffaele TADDEO, Letteratura nascente. Letteratura italiana della migrazione : autori e poetiche, Milano, Raccolto Edizioni, 2006, p. 36.

4 Carmine  Abate, “Le parole non costano niente”, in  Vivere per addizione e altri viaggi, Milano, Mondadori,   p. 102.

5 Ibid., p. 104-105.

6 Ibid., p. 106-107.

7 Ibid., p. 141-142.

8 Ibid., p. 146.

9 Pour cette définition de la « géopoétique » donnée par Kenneth White lui-même, voir le site : http://www.kennethwhite.org/geopoetique/

10 Carmine ABATE, La collina del vento, Milano, Mondadori, 2012, p. 75.

11 Ibid., p. 241.

12 Ibid., p. 121.

13 Édouard GLISSANT, Introduction à une poétique du divers, Paris, Gallimard, 1996, p. 34.

 

 

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LE PICHON  Alain  et  SOW  Moussa (sous la direction de), Le  renversement du  ciel, Paris, CNRS Éditions, 2011.

 

SAVIANO Roberto, Gomorra, Milano, Mondatori, 2006.

 

TADDEO  Raffaele,  Letteratura  nascente.  Letteratura  italiana  della  migrazione: autori e poetiche, Milano, Raccolto Edizioni, 2006.

 

TODOROV Tzvetan, Lhomme dépaysé, Paris, Seuil, 1996.

 

TODOROV Tzvetan, La peur des barbares. Au-delà du choc des civilisations, Paris, Robert Laffont, 2008.

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Emigrazione e lavoro nella letteratura italiana contemporanea: una lettura ecocritica

Romano Summa

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