Compte-rendu : Manifeste Négawatt, Arles : Actes Sud/Domaine du possible, 2012
Alors que notre gouvernement continue de soutenir la filière nucléaire, l'association Négawatt réactualise le genre manifeste pour présenter une démarche alternative visant à repenser totalement notre manière de produire et de consommer de l'énergie. La force de l'ouvrage vient de sa capacité à échapper aux considérations habituelles faisant culpabiliser le consommateur au nom de principes moraux. Les auteurs de l'ouvrage, tous professionnels de l'énergie, nous proposent au contraire un scénario clair et précis pour « réussir la transition énergétique ». Qu'entendent exactement les membres du collectif Négawatt par transition énergétique ?
La transition énergétique prend pour point de départ la situation française actuelle caractérisée par les grands traits suivants : consommation par habitant très élevée, utilisation massive d'énergie de stock importées (pétrole, gaz...), production d’électricité essentiellement d'origine nucléaire (75%), gaspillage et perte d'énergie entre le début (énergie primaire, prélevée dans la nature) et la fin de la chaîne énergétique (énergie finale, distribuée aux consommateurs). Cette situation repose sur des paradigmes hérités selon lesquels les êtres humains disposent de ressources infinies. Or, le contexte actuel de changement climatique, de tensions sur les réserves d'hydrocarbures et de catastrophes technologiques (Deep Water Horizon, Fukushima) obligent les sociétés à repenser leur rapport à l'énergie. A une autre échelle, celle de la France, l'enjeu est celui d'une dépendance énergétique envers des matières premières extérieures (uranium du Kazakhstan , du Niger et du Canada, pétrole et gaz d'ex-URSS, de mer du Nord, du Moyen-Orient et d'Afrique) de plus en plus onéreuses, qui ne cessent de creuser le déficit budgétaire. Selon les auteurs, le taux d'indépendance énergétique de la France serait aujourd'hui inférieure à 10%. Prenant le contre-pied des analyses communes, l'association montre que la production d'électricité nucléaire n'est ni suffisante ni bon marché.
Les objectifs de la transition énergétique pour 2050 contrastent ainsi sensiblement avec la situation actuelle : consommation diminuée de moitié par habitant, production d'énergie issue essentiellement des énergies de flux (vent, soleil,...), fin du nucléaire et utilisation très minoritaire des énergies fossiles, efficacité de la chaîne énergétique. Le tableau peut sembler utopique et pourtant, en lisant les auteurs, on comprend que c'est tout simplement possible tant les mesures radicales de la démarche « Négawatt » s'intègrent dans une « transition douce », pensée sur le long terme. La démarche se base sur trois piliers ; la sobriété énergétique invitant à une évolution concernant la consommation d'énergie dans un monde fini, la Terre ; l'efficacité énergétique permettant des gains très importants dans la transformation, le transport, la distribution ou la rétention (isolation) de l'énergie ; le développement des renouvelables, en particulier de la biomasse, du biogaz, de l'éolien et du solaire. Chacun des piliers comprend des mesures détaillées et des orientations concrètes faisant du livre un véritable manuel prospectif pour l'action. On apprend par exemple que ce sont les trajets de plus de 800 km, correspondant aux développement d'un tourisme de masse utilisant les compagnies aériennes low-cost, qu'il faut avant tout réduire (de 45%). Les auteurs envisagent une sortie complète et réussie du nucléaire en 2033 afin de reformer les employés du secteur sur les renouvelables. Loin d'être une menace socio-économique, la transition énergétique peut au contraire contribuer à créer des centaines de milliers d'emplois directs et indirects en particulier dans le secteur de la rénovation des bâtiments ou dans le développement des transports en commun.
L'ouvrage ne fait donc pas l'économie des traditionnels écueils que l'on rétorque à ceux qui ont osé s'orienter vers une autre pensée de l'énergie : destruction des emplois, coût plus élevé de l'électricité, problèmes de stockage et de réseaux... En même temps, le manifeste prend du recul face à ces obstacles et envisage l'évolution du secteur énergétique de manière globale en relation avec une autre pensée de l'urbanisme, des mobilités, de l'agriculture et de l'industrie. Une véritable transition énergétique ne peut en effet advenir sur la seule base d'innovations technologiques (regroupées sous l'expression « solutions vertes »). Au contraire, le livre montre la nécessité d'une autre relation entre les sociétés et leurs ressources territoriales, d'une autre relation entre les êtres humains et la Terre.