Quelles recherches pour promouvoir le Bien Vivre ?
Cadrage et propositions dans les contextes ruraux et agricoles du Sud global
Stefano Farolfi[1] et Sylvain Perret[2], CIRAD, UMR G-Eau, Université de Montpellier
Le Bien Vivre a été défini comme l’ensemble des bonnes pratiques et des principes qui, plaçant au centre la personne dans sa relation avec les autres, inspire une société fondée sur des valeurs telles que le bien commun et la durabilité. Nous discutons du rôle que la recherche agronomique pour le développement joue dans la création des conditions pour la réalisation du Bien Vivre dans les populations du Sud global. Nous proposons un cadre analytique où les systèmes alimentaires sont au centre de la création des préconditions pour les biens relationnels, le capital social et le bien-être individuel, qui sont des composantes essentielles du Bien Vivre. La recherche agronomique pour le développement favorise l'amélioration des systèmes alimentaires, et vise donc à améliorer les conditions pour la production des biens relationnels. Dans certains cas, elle affecte aussi directement le capital social et le bien-être individuel.
En utilisant une méthodologie d'évaluation spécifique (IMPRESS), nous présentons trois projets de recherche et de développement agricoles très différents dans le Sud global, pour montrer à quel point les impacts de la recherche agronomique pour le développement peuvent être diversifiés, et de quelle manière ils répondent aux Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations Unies qui représentent des cibles opérationnelles pour la création de meilleures conditions de vie et au final pour la réalisation du Bien Vivre.
1. Introduction et cadrage
Nous vivons une époque de grandes transformations et crises sociales, politiques, écologiques. Dans cette époque, « notre capacité de faire est énormément supérieure à notre capacité de prévoir les effets de notre faire » (Galimberti, 2023). Cette condition comporte une grande incertitude sur la viabilité de nos pratiques économiques et donne à l’humanité le triste statut de première espèce à être ‘force géophysique’ sur la planète Terre (Wilson, 2008).
Dans cette situation, de nouvelles éthiques proposent une mutation radicale du paradigme qui a gouverné jusqu’à présent l’idée de développement et la relation des sociétés avec la nature et entre elles.
Ainsi, l’éthique du « Care » (Gilligan, 1982), l’idée d’« habiter la terre » (Latour, 2022), l’« éthique du randonneur » (Galimberti, 2023), parmi d’autres, émergent comme visions alternatives à l’anthropocentrisme qui encore domine la société occidentale. Ces éthiques sont basées sur l’importance des relations au sein des communautés, du soin des autres et des actifs environnementaux, du rôle fondamental des biens communs.
Parmi ces éthiques, le Bien Vivre (Fantini et al., 2022) est défini comme « l’ensemble des bonnes pratiques et des principes qui, plaçant au centre la personne dans sa relation avec les autres, inspire une société fondée sur des valeurs telles le bien commun, l’équité et l’égalité, l’économie éthique, l’'innovation responsable et la durabilité ».
Les auteurs de cet article ont contribué à l’ouvrage collectif (Fantini et al., 2022) qui définit le concept de Bien Vivre et propose des cas concrets de sa réalisation. Le texte qui suit reprend en partie la réflexion autour du rôle de la recherche agronomique pour le développement afin de créer les conditions pour la réalisation du Bien Vivre, notamment dans les communautés du Sud global (Farolfi, Perret, 2022).
Il est important de souligner ici que Bien Vivre et bien-être sont deux concepts distincts et que le deuxième, étant un état de la personne, est un facteur, une condition préalable, à la réalisation du premier, qui est une éthique guidant son comportement.
Les facteurs et les conditions permettant une transition radicale et durable vers un paradigme comme le Bien Vivre, alternatif à l’anthropocentrisme, ont suscité au cours des trente dernières années un intérêt croissant tant de la part de la société civile que de la communauté scientifique. En 2015, l'Agenda 2030 pour le développement durable des Nations Unies (ONU 2015) a posé 17 Objectifs de Développement Durable (ODD). Bien qu'ils ne mentionnent pas explicitement le changement de paradigme, ils définissent les bases et les conditions pour sa réalisation : réduction de la pauvreté, sécurité alimentaire, accès à l'eau et à l'assainissement, développement équitable et inclusif, réduction des inégalités et environnement sain. Les ODD appellent explicitement aux efforts de recherche pour favoriser la réalisation de ces conditions (Filho et al.,, 2018 ; Vivien, 2013).
Néanmoins, pour induire une transition éthique dans une société, l’amélioration des conditions de vie matérielles ne suffit pas. Un changement culturel est nécessaire ; il est alimenté entre autres par le niveau d’éducation et par les interactions parmi les membres de la société. En économie, les biens relationnels (Gui, Stanca, 2010) représentent les bénéfices émergeant des relations entre les membres d'une société pour l’amélioration du bien-être individuel. Les biens relationnels sont également à l'origine du capital social (Putnam, 1993), largement reconnu par les économistes comme un catalyseur de l'action collective et du développement (Dhesi, 2000).
Si les biens relationnels sont donc à l’origine du bien-être individuel et de la création de capital social, leur production est facilitée par des bonnes conditions de vie matérielles telles que les niveaux nutritionnels et de santé, la durabilité environnementale, etc. On peut ainsi identifier une chaîne vertueuse de conditions conduisant au Bien Vivre comme éthique alternative à l’anthropocentrisme dominant. Cette chaîne commence par les conditions matérielles de vie et continue avec la production de biens relationnels nécessaires pour augmenter le bien-être individuel et le capital social.
L'agriculture et les systèmes alimentaires sont essentiels au développement durable (Caron et al.,, 2018 ; FAO 2018 ; Dury et al.,, 2019), et jouent un rôle central dans les pays situés dans le Sud global en raison de la prédominance des populations rurales et de l'agriculture en tant que secteur économique. Ces systèmes contribuent de manière cruciale à la réalisation des conditions préalables à la réalisation d’un changement d’éthique dans une société, comme dans le cas de l’adoption du Bien Vivre.
Dans cet article, après avoir proposé un cadre analytique pour montrer les interconnexions entre recherche, développement, systèmes agricoles et alimentaires, bien-être individuel, capital social et Bien Vivre, nous illustrons, à travers des cas concrets, comment la recherche agronomique appliquée pour le développement peut créer les conditions pour la réalisation du Bien Vivre. Nous discutons ensuite de la nécessité d'une nouvelle approche pour évaluer l'impact de la recherche agronomique pour le développement, et concluons avec quelques considérations sur le rôle de la recherche agronomique pour le développement dans les sociétés en transition, notamment dans le Sud global.
2. Favoriser les piliers du Bien Vivre
Selon l'indicateur du Bien-être Équitable et Soutenable (BES) (ISTAT 2013-2020), la plupart des douze facteurs influençant les conditions de vie humaines peuvent être directement influencés par les politiques et initiatives de développement externes, telles que les projets de développement (Figure 1). Ces facteurs sont la santé, l'environnement, l'innovation, la créativité et la recherche-développement (R&D), le travail, les conditions économiques, l'éducation, la sécurité, la gouvernance et les institutions, le paysage et le patrimoine culturel, ainsi que les services. D'autres facteurs, en revanche, dépendent uniquement des relations interpersonnelles (relations sociales selon le BES) entre les individus d'une communauté. Ils constituent les biens relationnels discutés dans la section suivante et sont cruciaux pour développer le capital social (Putnam, 1993), et, finalement, pour augmenter le niveau de bonheur (mesuré par le bien-être individuel/subjectif dans le BES) au sein d'une société (Bruni, 2005 ; Gui, Stanca, 2010). La réalisation d’une éthique comportementale comme le Bien Vivre, mettant l’Autre et le bien commun au centre, ne peut se faire que dans une société où le capital social et le bien-être individuel sont conséquents, car ces derniers représentent les éléments constitutifs mêmes du paradigme du Bien Vivre (Fantini et al.,, 2022).
Les facteurs directement impactés par les politiques de développement peuvent être considérés comme des conditions préalables à la production de biens relationnels (Attanasio et al.,, 2015 ; Pronyk et al.,, 2008 ; Avdeenko, Gilligan, 2014). Les ODD des Nations Unies visent à améliorer ces conditions préalables.
Les projets de développement ont donc principalement des effets indirects sur le capital social, le bien-être individuel, et, in fine, sur le Bien Vivre, en favorisant les conditions préalables qui augmentent la quantité et la qualité des interactions sociales (biens relationnels) qui renforcent la confiance entre individus et donc leur propension à coopérer (Ostrom, Ahn, 2009).
Dans certains cas, les projets de développement peuvent également avoir des effets directs sur le capital social et le bien-être subjectif des sociétés. C'est le cas lorsque ces projets sont menés dans le but d'améliorer le renforcement des capacités, l'autonomisation, la liberté, la créativité et la confiance des bénéficiaires. Les flèches en pointillé de la Figure 1 représentent ces effets potentiels.
L'augmentation du capital social et du bien-être individuel permet la réalisation du Bien Vivre, qui, en tant qu’éthique du comportement, engendre des rétroactions vertueuses qui améliorent de manière endogène les conditions préalables à de meilleures conditions de vie. Une communauté plus heureuse et plus coopérative peut générer de manière autonome de nouvelles règles et un meilleur système de gouvernance pour produire et gérer des facteurs tels que la production alimentaire, la santé et l'utilisation durable des ressources.
Fig. 1. Recherche, projets de développement et leurs impacts sur le Bien Vivre (Source: Farolfi, Perret, 2022). Ces rétroactions, représentées par les flèches descendantes de la Figure 1, sont en fin de compte à la base du développement durable.
Biens relationnels, capital social et bien-être individuel : les briques du Bien Vivre et du développement
En économie, les facteurs non propres au marché et les variables psychologiques sont considérés importants pour influencer le comportement et la rationalité des agents économiques. L'aspect interpersonnel des interactions économiques (Gui, Stanca, 2010) est l'un de ces facteurs et comprend des éléments tels que l'engagement social, la reconnaissance, les biens socio-émotionnels et les liens sociaux. Les biens relationnels (Uhlaner, 1989 ; Bruni, 2005 ; 2008) naissent des relations interpersonnelles, en fonction des personnes impliquées (personnalisation) et de ce qu'elles font, préfèrent et ressentent. Par conséquent, ces biens relationnels sont simultanément créés et consommés par les parties en interaction.
En économie, les relations interpersonnelles sont presque exclusivement étudiées comme l'un des éléments constitutifs du capital social (Putnam, 1993), contrairement aux sciences sociales appliquées, telles que la psychologie (Kahneman et al.,, 2004), où ces relations sont au centre de la réflexion. Le capital social est défini par Putnam (1993) comme l’ensemble des « caractéristiques de l'organisation sociale telles que les réseaux, les normes et la confiance qui facilitent la coordination et la coopération pour un bénéfice mutuel », et est considéré en économie comme une condition préalable à l'amélioration de l'efficacité du système économique à différentes échelles, en particulier à l'échelle locale. Les éléments du capital social cités par Putnam sont considérés comme des facteurs clés pour améliorer le niveau de coopération entre les personnes et leur capacité à établir les conditions d'un développement durable et d'une amélioration des moyens de subsistance de tous les membres d'une société.
Les biens relationnels exercent une grande influence sur la création du capital social (Bruni, 2005 ; Gui, 2002). Gui (2002) indique que dans toutes les interactions sociales, y compris les transactions économiques, outre les résultats traditionnels tels que la réalisation d'une transaction ou la fourniture d'un service, d'autres résultats intangibles et de nature relationnelle sont également produits. Ces résultats se traduisent par une modification du capital humain et social des sujets qui interagissent.
Ostrom et Ahn (2009) soulignent que le capital social contribue à la réussite de l'action collective, notamment en renforçant la confiance entre les acteurs sociaux.
Certains éléments constitutifs du capital social sont identifiables dans l'« état social », indiqué par Tocqueville comme un facteur clé de la démocratie (Tocqueville, 1835). La présence de ces éléments est également identifiée comme une condition pour éradiquer l'« accommodation », qui est l'une des principales causes de la pauvreté de masse selon Galbraith (1979).
Plus récemment, certains auteurs (Bruni, Stanca, 2008 ; Becchetti, Ricca, Pelloni, 2009) ont étudié empiriquement la relation entre les biens relationnels et le bonheur ou bien-être individuel, en appliquant des modèles empiriques pour tester les hypothèses formulées initialement par Easterlin (1974), selon lesquelles, bien que de meilleures conditions économiques soient généralement associées à un bien-être social plus élevé chez les individus et dans les pays, le bonheur n'augmente pas avec le revenu au fil du temps. Ces études expliquent ce fait par le lien de causalité entre les conditions matérielles et relationnelles (Diwan, 2000). Bruni et Stanca (2008) quantifient statistiquement l'effet de la participation active à des organisations bénévoles sur le bien-être individuel, tandis que Becchetti et al., (2009) constatent que les biens relationnels ont un effet positif important et significatif sur le degré de satisfaction individuel.
Les biens relationnels sont donc essentiels pour l'amélioration du bien-être individuel et du capital social, qui sont des briques essentielles du Bien Vivre. Et ceci est vrai tant dans les pays à revenus élevés que dans les pays à revenus faibles à intermédiaires. Ces biens nécessitent des conditions préalables pour être produits. En fait, une société qui ne dispose pas de niveaux suffisants de nourriture, de soins de santé et de gestion des ressources naturelles ne disposera pas d'un environnement approprié pour la mise en œuvre des relations interpersonnelles et des interactions qui produisent les biens relationnels. Les conditions préalables à la production de biens relationnels sont souvent présentes dans les pays de l'OCDE, alors qu'elles représentent encore un défi dans les pays moins avancés. Les systèmes agricoles et alimentaires jouent un rôle crucial dans ces pays pour la création de ces conditions préalables, comme nous l'expliquerons dans la section suivante.
3. L'importance des systèmes agricoles et alimentaires pour l’amélioration des conditions de vie et pour le Bien Vivre
Le bien-être et le Bien Vivre qui peuvent en découler sont des concepts étroitement liés au « développement », qui comprend des dimensions physiques, sociales et psychologiques pour les êtres humains (Baeck, 1993). Il convient d'examiner ici les spécificités des besoins de développement dans les pays à revenus faibles à intermédiaires du Sud global, par rapport à la sphère de l'OCDE.
Toutes les sociétés humaines cherchent en effet à accroître le bien-être de leur population par le biais de la croissance économique, de cadres institutionnels favorables, de relations sociales saines, de systèmes de santé pertinents, d'un statut et d'une reconnaissance individuels et collectifs, d'environnements naturels et anthropogéniques de qualité, de la sécurité physique, ainsi que d'autres éléments. Une spécificité durable des pays moins avancés (principalement tropicaux et subtropicaux) est qu'une telle entreprise dépend encore largement de la production primaire de biomasse (agriculture, sylviculture, pêche), qui reste un secteur socio-économique majeur. En effet, 45 % de la population mondiale est rurale, dont 90 % en Afrique. Globalement, 60 % de cette population rurale tire ses activités, ses emplois, ses revenus et son statut de l'agriculture. Ce chiffre atteint 70 à 90 % en Afrique et en Asie (FAO 2012 ; OCDE-FAO 2019). L'agriculture et les systèmes alimentaires jouent un rôle clé dans le bien-être des personnes, le bien-être familial et les bonnes conditions de vie, car ils répondent à la plupart des besoins humains fondamentaux, à savoir la nourriture, le logement, l'environnement familial, la sécurité, les réseaux sociaux, les emplois, les revenus, le statut, la reconnaissance, etc. Dans les pays développés, ces besoins fondamentaux sont souvent considérés comme acquis (par le biais des systèmes d'aide sociale de l'État), ou satisfaits par des secteurs non agricoles, ou remplacés par de nombreux autres besoins secondaires qui sont satisfaits par un consumérisme omniprésent (Khoshkish, 1994).
Les systèmes alimentaires[3] , définis par le HLPE (2014) comme « tous les éléments (personnes, intrants, processus, infrastructures, institutions, etc.) et activités liés à la production, à la transformation, à la distribution, à la préparation et à la consommation de denrées alimentaires, ainsi que le résultat de ces activités », représentent une composante essentielle du développement durable. « Le développement durable des populations du monde et de leur planète n'est possible que si toutes les personnes bénéficient de la sécurité alimentaire et sont bien nourries, si tous les écosystèmes sont sains et équilibrés, si les sociétés sont résilientes face aux menaces posées par le changement climatique et si la gouvernance des bénéfices du développement est juste et équitable » (Caron et al.,, 2018).
Le bien-être des sociétés et la possibilité qu’elles empruntent la voie du Bien Vivre sont inextricablement liés à ces facteurs, qui peuvent être considérés comme des conditions préalables à la production de biens relationnels (Bruni, 2005) et, en fin de compte, à l'amélioration des capacités qui, selon Sen (1985 ; 1999), conduisent les êtres humains à un niveau de liberté plus élevé, et donc à un plus grand bonheur. Sen (1982) souligne que la sécurité alimentaire est une question d'accès aux moyens de produire ou d'acheter de la nourriture et pas seulement une question de production suffisante.
L'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a publié en 2018 un rapport intitulé Transforming food and agriculture to achieve the SDG (FAO 2018). La même année, Caron et al (2018) ont proposé une voie de transformation en quatre parties pour les systèmes agricoles et alimentaires qui les alignent sur les 17 ODD posés par les Nations Unies (ONU, 2015). En suivant cette voie, les systèmes agricoles et alimentaires devraient : 1) permettre à tous de bénéficier d'une alimentation nutritive et saine, 2) proposer une production agricole et des chaînes de valeur alimentaires durables, 3) atténuer le changement climatique et renforcer la résilience, et 4) encourager une renaissance des territoires ruraux. Bricas (2019) représente les systèmes alimentaires comme un processus circulaire où les différentes activités (production, agrégation, transport, stockage, transformation, consommation, gestion des déchets et des ressources) sont en étroite relation entre elles et avec l'environnement, d'où elles tirent des ressources naturelles et de l'énergie, et où elles éliminent les déchets et les sous-produits. Outre l'alimentation, les systèmes alimentaires produisent des résultats socio-économiques et environnementaux. Les systèmes alimentaires contribuent à quatorze des dix-sept ODD, qui peuvent être regroupés en trois objectifs principaux : la sécurité alimentaire et la nutrition, le développement inclusif, et un environnement viable et l'atténuation du changement climatique.
En même temps, les systèmes alimentaires sont affectés par six catégories de facteurs (drivers) (biophysiques et environnementaux, démographiques, innovation-technologie et infrastructures, économiques et socioculturels). Ces facteurs peuvent être impactés à différents niveaux et influencés par les projets de recherche et de développement, en particulier lorsque la recherche agronomique pour le développement est impliquée (Bendjebbar, Bricas, 2019).
Le cadre mobilisé pour expliquer comment les projets de recherche et développement créent les conditions préalables à la production de biens relationnels, et donc de capital social et de bien-être dans les sociétés, peut alors être adapté aux systèmes alimentaires (Figure 2), notamment du fait de leur prégnance dans le Sud global.
Fig. 2. Recherche agronomique pour le développement, systèmes alimentaires et Bien Vivre (Source: Farolfi, Perret, 2022)
Un programme de recherche agronomique peut favoriser la mise en œuvre d'un ou plusieurs projets de développement, qui ont des impacts directs sur un ou plusieurs facteurs affectant les systèmes alimentaires.
Par exemple, un projet promouvant les pratiques agroécologiques par le biais d'une meilleure gouvernance des associations locales de petits agriculteurs affectera les facteurs biophysiques en réduisant l'utilisation d'engrais et en adoptant des techniques économes en eau, mais il affectera également les facteurs économiques et politiques, puisque la production sera améliorée et qu'une meilleure gouvernance renforcera la capacité de décision et d'élaboration des politiques au niveau local[4]. Le système alimentaire aura alors un impact positif et ses trois fonctions principales (objectifs) produiront les conditions préalables à l'amélioration des conditions de vie de la société bénéficiaire des projets. Ces objectifs sont la sécurité alimentaire et nutritionnelle (et l'amélioration de la santé qui en découle), la viabilité de l'environnement et l'atténuation du changement climatique (par une meilleure utilisation des ressources naturelles, y compris l'eau et le sol) et le développement inclusif (par la promotion des petits exploitants agricoles au lieu de l'agriculture industrielle).
Ces trois fonctions des systèmes alimentaires améliorent directement les conditions de vie de la société, mais surtout, elles créent les conditions préalables pour favoriser les interactions humaines au sein de la société, en créant des biens relationnels et, en fin de compte, en créant du capital social et plus de bien-être individuel. Le capital social renforcera la confiance, la coopération, l'altruisme entre les membres de la société, et le bien-être subjectif diffus ainsi que le bonheur peuvent accroître le niveau de satisfaction, le sentiment d'appartenance, la conscience de l'importance de préserver l'environnement. Ces facteurs sont à la base de la possibilité de réaliser un vrai changement de paradigme éthique au sein de la société : le Bien Vivre représente cette transition. Ce dernier aura des effets de rétroaction positifs sur tous les facteurs affectant les systèmes alimentaires, et plus particulièrement sur ceux de la sphère socioculturelle. Ces rétroactions produisent un cycle vertueux, qui est à l'origine d'un bien-être accru, ainsi que d'un développement durable.
Dans les prochaines sections, après une réflexion sur l'évolution de la recherche agronomique pour répondre aux nouveaux défis des systèmes alimentaires, nous illustrons trois projets de recherche appliquée. À travers ces projets, le CIRAD et ses partenaires mettent en pratique à la fois la transformation en quatre parties proposées par Caron et al. (2018) et les trois fonctions/objectifs des systèmes agricoles et alimentaires indiqués par Bricas (2019), afin d'atteindre les ODD des Nations Unies.
4. La recherche agronomique pour améliorer les systèmes agricoles et alimentaires et pour promouvoir le Bien Vivre
La recherche agronomique est une création du XIXe siècle et a évolué au cours du dernier siècle pour répondre aux nouveaux besoins et paradigmes de la société. Le CIRAD, principal institut français de recherche agronomique pour le développement, a été un acteur central de cette évolution (Blundo-Canto et al., 2022). De l'approche positiviste visant à la croissance de la productivité et dominant la scène jusqu'aux années 1970, la recherche agronomique pour le développement a progressivement évolué vers une approche constructiviste, caractérisant le paradigme post-normal (Funtowicz, Ravetz, 1993). Des méthodes telles que la modélisation des systèmes complexes, les processus participatifs, l'analyse multicritère, les observatoires territoriaux et les laboratoires vivants sont couramment adoptés dans les approches de science post-normale proposées au cours des vingt dernières années.
Par exemple, le CIRAD a largement contribué à l'établissement et au développement d'approches telles que la modélisation d’accompagnement (Companion Modelling – ComMod) (Barreteau, 2003a ; 2003b ; Étienne, 2011) et COOPLAGE (Ferrand et al., 2018 ; Abrami et al., 2012 ; Hassenforder, Ferrand 2024). Les deux cadres utilisent la modélisation et des outils participatifs comme les jeux de rôle, les groupes de discussion, etc. pour faciliter le dialogue et la participation des parties prenantes à différentes échelles (du local à l'international) et favoriser la discussion, la prise de décision et l'évaluation des mesures politiques autour de problématiques telles que la gestion des ressources naturelles, la sécurité alimentaire, l'adaptation au changement climatique, etc.
Par ces approches, le processus tout autant que les résultats finaux sont importants : les chemins participatifs, les processus d'apprentissage, les interactions entre différentes parties prenantes, le partage des connaissances et des visions, la mise en place de réseaux, le renforcement des capacités et la sensibilité au genre contribuent pleinement au développement personnel et collectif, ainsi qu'à la formation d’un nouveau paradigme éthique en mesure de réglementer les rapports entre sociétés et avec les ressources naturelles : le Bien Vivre.
5. De la théorie à la pratique : la recherche agronomique pour le développement en action
Dans cette section, nous présentons des exemples de projets où la recherche agronomique pour le développement a contribué à améliorer les systèmes agricoles et alimentaires, créant les conditions pour la réalisation du Bien Vivre.
Nous proposons comme illustrations trois études de cas qui abordent à différents niveaux les quatre axes de transformation suggérés par Caron et al. (2018) ainsi que les trois fonctions par lesquelles, selon Bricas (2019), les systèmes agricoles et alimentaires contribuent aux ODD.
Les études de cas font partie d'un groupe plus large de 15 études de cas que le CIRAD a analysées pour développer une méthodologie spécifique d'évaluation, appelée IMPRESS (IMPact de la REcherche dans le Sud) (Faure et al., 2018 ; 2020), brièvement présentée dans la section suivante. Nous avons choisi d'adopter cette méthodologie car elle propose des indicateurs spécifiques se référant aux conditions de vie et aux capacités à innover des bénéficiaires, qui sont des facteurs déterminants pour un changement de paradigme éthique.
Pour chaque cas présenté, nous fournissons une description synthétique du projet et de ses impacts évalués de manière participative. Un graphique (radar) est présenté pour chaque projet. Le radar d'impact (Faure et al., 2018) permet de visualiser la diversité des impacts d'un cas selon les 11 domaines d'impact conçus par IMPRESS. Ces 11 domaines sont regroupés et représentés par quatre couleurs différentes correspondant aux quatre groupes d'ODD suivis par le CIRAD.
Ces groupes d'indicateurs correspondent, avec quelques adaptations, aux fonctions/objectifs des systèmes agricoles et alimentaires selon Bricas (2019), auxquels un groupe de facteurs sur les institutions et les partenariats est ajouté par le cadre IMPRESS. Les indicateurs IMPRESS rappellent également les quatre parties indiquées par Caron et al., (2018) pour transformer les systèmes agricoles et alimentaires dans la direction des 17 ODD.
Le tableau 1 compare les trois cadres analytiques, montrant leur approche similaire, avec quelques spécificités en termes de regroupement des indicateurs qui abordent différents ODD. Dans la colonne IMPRESS, les quatre groupes d'indicateurs sont associés aux mêmes couleurs utilisées dans les graphiques radar qui présentent chaque étude de cas (Figure 3).
Tab. 1. Groupes d’indicateurs pour le développement des systèmes agricoles et alimentaires selon trois cadres analytiques internationaux.
Note : Entre parenthèses les ODD ciblés. Les flèches indiquent où les ODD sont communs entre deux groupes d’indicateurs dans des cadres différents. Source : Farolfi, Perret, 2022.
Il est à noter que le groupe UN Milano et l'approche IMPRESS ajoutent un indicateur qui englobe le 16e ODD sur les institutions et le 17e sur les partenariats (ce dernier s'applique uniquement à IMPRESS), par comparaison au cadre FAO/CIRAD (Bricas, 2019) qui se concentre sur les 15 premiers ODD à l'exception du n°4 sur l'éducation. Les institutions fortes et durables sont en effet cruciales pour favoriser une véritable renaissance territoriale, comme le soulignent Caron et al., (2018), tandis qu'un partenariat fructueux et une confiance renforcée entre tous les acteurs et parties prenantes impliqués dans un projet de développement sont une condition nécessaire pour une innovation réussie et pour un changement de paradigme éthique.
Enfin, il est intéressant de noter que le cadre IMPRESS souligne un indicateur spécifique dans le groupe d'indicateurs « Développement humain et sécurité alimentaire » appelé « culture et conditions de vie », alors que les conditions de vie sont considérées comme le résultat de la somme des autres objectifs/indicateurs/fonctions dans les deux autres cadres.
La méthodologie IMPRESS (Faure et al., 2018)
La méthodologie IMPRESS ne se concentre pas sur l'attribution spécifique des impacts de la recherche, attribution qui repose souvent sur des approches économiques et statistiques (Joly, Matt, 2017). Elle s'appuie plutôt sur un ensemble de concepts clés : la recherche par étude de cas (Yin, 2009), l'évaluation des chemins d'impact (Douthwaite et al., 2003), et l'analyse de la contribution (Mayne, 2001). Ces choix découlent de l'intérêt scientifique pour comprendre les processus et mécanismes qui permettent à la recherche agronomique de contribuer à des impacts dans un socio-système de changement et d’innovation. L'évaluation suit des principes participatifs (Baron, Monnier, 2003) pour parvenir à une perception partagée parmi les acteurs du processus spécifique évalué et de ses effets (Habermas, 1984), et pour améliorer la qualité et la pertinence de l'évaluation en mobilisant différents types de connaissances et de perceptions (Ridde 2006).
À cette fin, différents acteurs participent à des ateliers, des groupes de discussion et des enquêtes pour caractériser le processus d'innovation et les impacts qui en découlent. Ils prennent également part à un atelier final pour discuter, affiner et valider les résultats.
L'analyse des études de cas (projets) suivant la méthodologie IMPRESS permet d'établir un diagramme radar pour chaque projet en tant que représentation synthétique finale des impacts du projet sur les quatre groupes d'indicateurs présentés dans le Tableau 1, colonne 3.
Pour dessiner les graphiques radar, chaque impact de chaque cas est mesuré par plusieurs indicateurs en ce qui concerne son intensité et son ampleur. IMPRESS demande à un panel d'experts (qui connaissent tous les cas et la littérature) d'évaluer tous les indicateurs au niveau des domaines d'impact en utilisant deux échelles générales (-5 à +5 pour l'intensité ; 0 à 3 pour l'ampleur)[5]. Après discussion, le panel parvient aux scores finaux par consensus.
Etudes de cas
La méthodologie IMPRESS appliquée à trois projets de recherche et développement agronomique/vétérinaire très différents[6] illustre bien comment une initiative de développement peut avoir un effet significatif sur un ensemble de conditions préalables à la réalisation du Bien Vivre dans les communautés du Sud global. Ces effets sont montrés à travers les diagrammes radar d'impact (Figure 3 a), b) et c). La figure représente les domaines, illustrés dans le tableau 1, colonne 3, où les impacts ont été constatés pour chaque projet.
Le premier projet concerne le développement d'un décortiqueur de fonio (céréale sahélienne) au Mali et au Burkina Faso. Le deuxième projet porte sur l'éradication de la mouche tsé-tsé au Sénégal, et le troisième projet concerne la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) en Indonésie.
Le graphique radar de la Figure 3a) montre qu'à la suite de l'évaluation IMPRESS, l'innovation du décortiqueur de fonio a eu des impacts exclusivement sur deux groupes d'indicateurs (cf. Tableau 1) : Activité économique et Développement humain et sécurité alimentaire. Il est intéressant de noter que l'indicateur « culture et conditions de vie » est positif pour ce projet, et l'argument est que la qualité de vie des familles de producteurs s'est améliorée. Les femmes disent toutes que le décortiqueur les a libérées d'une tâche laborieuse et que cela s'est traduit par de meilleures relations familiales.
Fig. 3. Radar d’impact selon la méthodologie IMPRESS pour les trois projets : décortiqueur de fonio au Mali et Burkina Faso a), éradication de la mouche tsé-tsé au Sénégal b), et gestion de l’eau en Indonésie c).Source: Faure et al., 2018.
Le projet d'éradication de la mouche tsé-tsé dans les Niayes du Sénégal (graphique radar de la Figure 3b) a eu des impacts sur les quatre groupes d'indicateurs identifiés par l'approche (cf. Tableau 1). Cependant, les principaux résultats ont été observés dans la conservation de l'environnement, à la fois par l'amélioration de la santé animale et la protection renforcée des ressources naturelles et de la biodiversité, ainsi que dans les institutions et les partenariats durables.
L'indicateur « culture et conditions de vie » est négatif pour ce projet, et les raisons en sont d'abord la modification/perte des traditions pastorales liées à l'intensification de l'élevage qui a suivi le projet, ensuite la réduction de la proportion de races trypano-tolérantes dans les troupeaux, et enfin une réduction des zones cultivées.
Le projet de GIRE en Indonésie (graphique radar de la Figure 3c) a eu des impacts sur les quatre groupes d'indicateurs identifiés par le cadre IMPRESS.
L'approche institutionnelle et les approches participatives ont entraîné des conséquences positives à la fois sur la protection de l'environnement et sur la capacité de production des agriculteurs locaux, ce qui a finalement entraîné une augmentation du niveau de revenu des agriculteurs. Les innovations techniques et institutionnelles/gouvernementales ont produit des impacts positifs sur l'ensemble des fonctions, favorisant de meilleures conditions de vie pour les communautés locales et une meilleure capacité à innover.
6. Discussion et conclusion
Dans le Sud global, malgré des tendances démographiques et d'urbanisation marquées, les zones rurales restent cruciales pour le développement social et économique. En effet, les conditions de vie et le bien-être dépendent encore largement de la production primaire. Au niveau local, l'agriculture constitue l'épine dorsale de l'approvisionnement alimentaire, des revenus et des relations sociales. À l'échelle mondiale, l'agriculture familiale demeure le principal fournisseur net d'aliments, d'emplois et de moyens de subsistance. Ces faits soulignent que la recherche agronomique est un facteur clé pour améliorer les conditions de vie, et donc pour alimenter la production de biens relationnels qui sont à l’origine d’un bien-être individuel augmenté et plus de capital social. Ces facteurs dans certaines situations stimulent un changement radical du paradigme éthique des communautés vis-à-vis des relations avec les autres et avec les ressources environnementales : ce paradigme a été défini Bien Vivre par Fantini et al. (2022).
La recherche agronomique est également un levier utile pour améliorer les connaissances, développer des solutions adaptées et influencer les politiques. Elle peut pour cela devenir un facteur de transformation au sein des sociétés et des systèmes politiques en transition, particulièrement dans le Sud global. Elle joue en effet un rôle dans l'autonomisation, le renforcement des capacités, les processus de démocratisation et de participation. À ces fins, de nouvelles approches ont été développées, permettant ainsi de dépasser la simple fourniture de biens et services de base. En définitive, la manière dont la recherche est menée est cruciale en ce qui concerne la promotion du Bien Vivre, car la recherche peut également valoriser et accroître les connaissances locales, le capital social et les capacités.
Les études de cas présentées par le biais d’une de ces approches, la démarche IMPRESS, montrent que la recherche agronomique pour le développement contribue à un large éventail d'impacts. Certains indicateurs d'impact se réfèrent directement au Bien Vivre, tandis que d'autres se rapportent à ses conditions.
Les études de cas ont également montré que les chercheurs impliqués dans les projets ont efficacement contribué aux impacts en réalisant une diversité de fonctions. La nature participative et inclusive de la recherche agronomique pour le développement moderne encourage les chercheurs à produire des résultats différents : articles, rapports, formations, mais aussi diffusion de variétés adaptées, essais sur le terrain et démonstrations, partenariats entre la recherche, les ONG et les organismes de vulgarisation. Enfin, les études présentées montrent l'importance du temps pour atteindre les impacts attendus des projets. La logique des agences de financement est souvent orientée vers la réalisation de résultats à court terme. Comme le concluent Faure et al. (2018), « le défi consiste donc à développer des mécanismes de financement efficaces permettant la mise en œuvre de projets de recherche et de développement à moyen et long terme qui peuvent contribuer efficacement aux impacts ».
Dans le Sud global aujourd'hui, comme ailleurs à travers l'histoire (y compris à partir de pays européens), les mauvaises conditions de vie persistantes, le manque de services et biens de base, ou les menaces directes aux normes de vie individuelles, familiales ou communautaires (guerre, conflits, insécurité alimentaire, etc.) ont déclenché les mêmes réponses : la mobilité et les migrations, Les migrations traditionnelles et contemporaines à l'intérieur de l'Afrique démontrent l'adaptabilité des individus, des familles ou des communautés entières afin d’atteindre de meilleures conditions de vie. Ces migrations peuvent être temporaires ou permanentes. L'augmentation récente des migrations intercontinentales, du sud vers le nord, de l'Afrique vers l'Europe par exemple, le poids économique considérable des envois de fonds (vers l'Afrique du Nord, les Philippines ou le Mexique par exemple) et leurs diverses conséquences ne peuvent être ignorés. Ces tendances peuvent être analysées à travers le prisme du Bien Vivre. D’une part les migrants se déplacent à la recherche de meilleures conditions de vie, à long terme, là où ils se sont installés ou pour leur famille restée au pays. Ils ne sont pas satisfaits de leurs conditions de vie actuelles et des questions demeurent quant à ce qu'ils recherchent et au modèle de vie qu'ils ont en tête, à la réalité du Bien-Vivre en Occident, et à la perception que ces migrants en ont. D’autre part, les conditions de vie de ceux qui restent ne sont pas suffisantes pour leur permettre de réaliser un changement radical de paradigme dans la direction du Bien Vivre.
Comme le souligne Langlois (2016), la réalisation du Bien Vivre ne peut pas être dissociée d'une révision radicale du modèle de développement dominant pour notre planète, très extractif et soutenu par le monde globalisé. Cette révision passe par un changement des politiques de production, de commerce et de consommation, et en même temps par la promotion de nouveaux modèles culturels et paradigmes de développement. Si le modèle dominant reste celui visant le «toujours plus» au lieu du «toujours mieux», les sociétés du Sud global continueront à regarder avec «illusion» le modèle globalisé. Par conséquent, elles vivront soit dans la frustration croissante créée par l'écart entre les conditions de vie dans le nord et dans le sud, soit elles migreront. Les migrations massives sud-nord sont également générées par ce faux mythe de meilleures conditions de vie créées par les biens matériels et les services coûteux. En revanche, comme le montrent de nombreuses études (Sen,1999 ; Sacco, Segre, 2006), les biens relationnels, les connaissances et la culture sont cruciaux dans la création de capital social, de capacités et de «liberté positive» et donc aussi de bien-être individuel, tant dans le Nord que dans le Sud. Pour cette raison, les politiques publiques devraient encourager la transition vers les modèles de développement qui placent les biens relationnels au cœur de la création de bien-être. La recherche agronomique pour le développement, à travers des approches participatives et inclusives, devrait cibler les impacts directs sur les biens relationnels en plus des cibles conventionnelles représentées par la sécurité alimentaire, l’environnement durable et le développement inclusif.
Il ne faut pas sous-estimer, pour conclure, le rôle important que le Sud global peut jouer dans la transition vers le Bien Vivre, car il dispose encore d’un capital social fort et sait faire avec frugalité. La recherche agronomique pour le développement s’intéresse depuis un certain temps aux savoirs dits « profanes » et aux expertises sociales, nécessaires au développement durable. Ces savoirs et cette expérience provenant du Sud global représentent de véritables atouts pour les pays à revenus élevés.
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[1] Auteur correspondant, farolfi@cirad.fr
[2] perret@cirad.fr
[3] Les systèmes alimentaires ne couvrent pas toutes les activités agricoles et certains de leurs produits font partie d'une bioéconomie plus large : l'agriculture produit non seulement des aliments, mais aussi de l'énergie (bois de chauffage et charbon de bois, animaux de trait et huiles), des matériaux (bois d'œuvre, paille, bois, latex, fibres et cuir) (Dury et al.,, 2019).
[4] Chaque projet peut avoir des impacts différents sur différents facteurs (drivers). Par exemple, un projet visant à accroître les performances des systèmes d'irrigation grâce à l'amélioration des infrastructures et de la gouvernance aura une incidence sur l'innovation et la technologie (pompes, canaux, etc.), mais aussi sur les facteurs économiques (cultures irriguées), socioculturels (formation et sensibilisation à l'utilisation de l'eau), politiques (gouvernance, prise de décision), biophysiques et environnementaux (utilisation de l'eau, salinisation, utilisation de l'énergie) et démographiques (flux migratoires vers les zones irriguées).
[5] Les deux critères utilisés pour évaluer le changement par domaine d'impact sont l'intensité du changement pour caractériser le degré de variation d'un impact, et l'ampleur du changement pour caractériser le nombre de personnes ou la zone géographique concernés par l'innovation.
[6] Une description détaillée de ces projets se trouve à l’adresse suivant : https://impress-impact-recherche.cirad.fr/impress-ex-post/case-studies.