Mes pieds touchent la terre mais je ne la reconnais plus !
Je suis restée celle que j'étais.
Un vase rempli d'un savoir qui n'est pas le mien."
Pier Paolo Pasolini, Médée
Nombreuses sont les épistémologies et les études féministes qui affirment que l'évolution du 'contrôle' masculin, tout au long de l'histoire n'a pas pu avoir lieu sans un contrôle infaillible sur les connaissances et les savoirs des femmes. Pendant le XVIe siècle, les femmes en Europe étaient totalement exclues de la pratique de la médecine et de la guérison. Les sages-femmes, par exemple, couraient le risque d'être accusées de sorcellerie. Le 'paradigme' masculin a toujours prétendu détenir les secrets de la 'science' et du 'développement' tout en excluant violemment les connaissances des femmes et des cultures paysannes et tribales. La chasse aux sorcières a été le premier exemple de criminalisation de la connaissance féminine. Aujourd'hui, ce phénomène, bien que dissimulé sous d'autres aspects, continue. Libérées du contrôle de l’Église catholique qui les diabolisait, les femmes occidentales avaient finalement la possibilité de se réconcilier avec leurs corps et avec leur féminité. Pourtant, en disparaissant, le pouvoir religieux a laissé place à un nouveau moyen de contrôle des masses, et en particulier, des femmes : le progrès.
La médicalisation des phénomènes naturels chez la femme comme l'accouchement, la fertilité, la ménopause, provoque une sorte de 'mécanisation' du corps féminin qui devient un 'outil' géré entièrement par les experts. Ainsi, les femmes enceintes ne sont plus considérées comme l'origine de la régénération humaine, mais comme la matière première à partir de laquelle il faut 'extraire' le produit. "Les ventres des femmes sont réduits à de simples 'conteneurs'", affirme Vandana Shiva (1992, p. 115). Le lien organique direct est remplacé par des connaissances établies par des hommes et par des machines. Par exemple, grâce à l’échographie, les docteurs prétendent offrir à la mère une opportunité exclusive de 'rencontrer' son futur bébé, de communiquer avec lui, de créer un lien affectif avec lui avant sa naissance. Cette vision purement patriarcale exclut violemment le don 'naturel' de la femme et l'essence même de l'acte de la procréation qui est pourtant basé sur un rapport authentique et naturellement préétabli entre la mère et son enfant.
Aujourd'hui, partout dans le monde, les femmes qui refusent de considérer leurs corps comme de simples machines manipulables par la science sont stigmatisées et considérées comme 'sous-développées'. Employées dans les postes de travail à risque, les femmes sont soumises à des opérations de stérilisation chirurgicale pour pouvoir maintenir leurs postes au sein de l'entreprise. Cette procédure dont le slogan est 'la protection de la vie humaine', mis à part la destruction irréversible de la fertilité de la femme, suggère aussi l'idée que ce qui est potentiellement dangereux pour le fœtus ne l'est pas pour la mère. Cette logique invite à contrôler les corps des femmes au lieu de trouver des solutions pour limiter les substances nocives.
Submergé par tant de progrès, le féminisme peut-il encore proposer des solutions 'alternatives' ? Après le féminisme marxiste et le féminisme libéral, peut-on proposer à la femme contemporaine un nouvel équilibre, basé sur des valeurs différentes de celles proposées par les idéologies masculines ? L'écoféminisme peut-il réinscrire l'identité féminine dans un contexte non androcentrique ni anthropocentrique ?
La psychologie des femmes entre globalisation et éthique
Lina Mangiacapra, du groupe féministe napolitain Le Nemisiache (Les némésiaques), se comparait à une sorcière :" Je continue à voler, à chevaucher mon balai, je ne suis pas (l') homme." Dans les années soixante-dix, des femmes italiennes réclamaient un salaire pour le travail domestique[1]. Elles furent accusées par les féministes radicales de vouloir accentuer la division sexuelle du travail et l'isolement des femmes au foyer en les catégorisant comme des 'ménagères'. Tout en accusant les femmes au foyer d'assurer "la transmission des idéologies conservatrices destinées à perpétuer la hiérarchie économique et la hiérarchie sexuelle" (Biancamaria, 1976, p. 27), ces féministes estimaient que le travail exercé par les femmes ne pouvait être reconnu qu'en insérant celles-ci dans la 'sphère publique' du travail, et donc au sein du système du marché. Ce mouvement, qui se voulait en polémique avec la position émancipatrice typique des féministes de l'époque, notamment celle de l'urgence de l'insertion professionnelle de la femme, fut très vite étouffé. L'oppression des femmes est-elle alors le produit de facteurs "structurels", c'est à dire économiques ou "superstructurels" c'est à dire culturels ? La condition sociale des femmes est-elle déterminée par leur classe ou par leur genre ?
Les féministes qui prêchent les effets 'libérateurs' de la science moderne sur les corps des femmes semblent oublier que les médecines traditionnelles considéraient l'être humain comme une entité terrestre et cosmique, un tout indissociable, tangible et intangible, physique et psychique, et donc émotionnel. Face à cette complexité 'originaire', le scientisme a toujours procédé par "simplification mécaniste" (Rabhi, 2005, p. 239). Aujourd'hui, les féministes libérales font l’éloge des acquis sociaux de leur émancipation et proposent à ces femmes paysannes de 'prendre leur destin en main' en ayant recours à des méthodes contraceptives pour échapper à la domination du Mâle et sauver la planète. Mais ont-elles réellement considéré la position 'moins privilégiée' des femmes du Sud dans les hiérarchies socio-économiques et dans les rapports de race ? Pour reprendre les termes de Serge Latouche ; ont-elles considéré le fait que ce projet «développementiste» ne puisse pas être « universalisable» car il obéit à des valeurs comme le progrès, l’universalisme, la maîtrise de la nature, la rationalité quantifiante, qui ne sont justement pas universelles[2] ?
Dans un livre intitulé Une voix différente: pour une éthique du care, publié en 1987, la psychologue américaine Carol Gilligan[3] se sert d'arguments psychanalytiques pour démontrer l'incohérence du discours féministe libéral, basé sur des théories de "psychanalyse générale", avec la nature du 'care' propre à la femme. Selon elle, le processus du développement de la personnalité, les constructions pulsionnelles et psychiques, le rapport à l'attachement, à l'intimité, à la séparation et à la violence sont complètement et naturellement différents chez les deux sexes. L'éthique du care s'est construite contre le modèle dominant de la philosophie politique et morale contemporaine selon lequel les êtres humains sont isolés, indépendants et seule la confrontation raisonnée serait à l'origine du lien social (Laugier, 2015, p. 129). La philosophie du care pose une question fondamentale que le féminisme classique a ignorée : «Pourquoi la voix morale dominante (masculine) est prise comme référence morale ? » (ibid.). L’indépendance, la justice, la raison, l'autonomie, l'individualisme, le détachement et bien d'autres expressions de l'éthique masculine ont toujours été prises comme modèles à suivre pour «l'ascension» de la femme dans la société. Les expériences de la psychologue Carol Gilligan auprès de jeunes filles et de jeunes garçons montrent que ces cognitions évoluent différemment chez les deux sexes. Et c'est justement cela qui a toujours permis à l'humanité de maintenir son équilibre entre le privé et le public, le général et le particulier, le déontologique et l'important, le moral et le politique. A partir d’une analyse approfondie du rapport entre le 'moi' et le monde extérieur, généralisé chez Freud pour les deux sexes, Gilligan découvre que la perception de la 'morale' est justifiée chez les hommes par une éthique de 'droits' tandis qu'elle repose chez les femmes sur une éthique du ‘care’[4]. En effet, il semble que les hommes et les femmes vivent les expériences d'attachement et de séparation de différentes manières et que chaque sexe perçoit un danger là où l'autre n'en voit pas : les hommes lorsqu'il y a des liens et les femmes lorsqu'il y a séparation (Gilligan, 1986, p. 76). Gilligan explique notamment que les 'schémas' psychanalytiques de "la morale, de la culture et du bonheur" (ibid., p. 83) établis par Freud, Piaget et bien d'autres ne prennent pas en considération les 'expériences' proprement féminines et en suppriment donc la légitimité. Dans Malaise dans la civilisation (1930), Freud considère le "détachement du 'moi' par rapport au monde extérieur", que Gilligan a constaté chez les jeunes garçons, comme une tendance vers l'agressivité. En affirmant que cette agressivité, qui est "la base de tous les rapports d'affection et d'amour entre les personnes, est une manifestation de la "peur de l'attachement", Gilligan rejoint la conclusion de Freud (ibid., p. 73). Celui-ci reconnaît, néanmoins, qu'il existe un état mental qui fait exception à sa règle concernant les rapports humains basés essentiellement sur l'agressivité : celui de la mère vers son enfant. La psychanalyse s'est contentée de signaler cette exception qui semble pourtant remettre en question toute la théorie psychanalytique des rapports humains. D'ailleurs, la psychanalyse ne pourrait nier l'influence fondamentale du rôle maternel dans les comportements et la construction psychique de l'enfant. Les femmes ont-elles été, à ce point, délaissées par la psychanalyse ? Cette "exception" ne pourrait-elle pas constituer la base d'une psychologie féminine qui n'obéit plus à des théories suggérées et appliquées par et sur des hommes ? La femme ne pourrait-elle pas avoir une psychologie qui émane de sa propre expérience mentale et non pas des divers fantasmes masculins sur la « psychologie féminine » ?
Les femmes non occidentales, encore à l'abri, socialement, d'une telle identification absolue dans le comportement masculin, ne peuvent se détacher de leur rôle féminin traditionnel. Toutefois, cette situation les rend incapables d'adopter un jugement moral ou un choix qui émane de leurs propres convictions et qui puisse justifier leurs actes. Une telle stérilité d'entreprendre des choix s'explique, selon Gilligan, par l'incertitude quant à leur 'droit' de faire ces choix. Réalisés pendant les années soixante et soixante-dix, les tests effectués par Gilligan sur des jeunes femmes américaines expliquent la réalité psycho-sociale vécue par les femmes non occidentales aujourd'hui :
Quand les femmes se sentent exclues des activités de la société auxquelles elles ne peuvent pas participer directement, elles se voient soumises à un consensus où à un jugement fait et appliqué par les hommes, dont dépend leur protection, leurs moyens d'existence et leur identité, car elles sont connues par le nom de ces hommes (ibid., p. 110-1).
L'idée de l'existence d'une classe homogène de femmes, d'une oppression universelle et d'une lutte commune a été critiquée par le Black feminism et le féminisme postcolonial. Ces derniers revendiquent la nécessité de reconnaître les divergences des parcours historiques, des intérêts politiques, et surtout l’existence de plusieurs façons de définir l’émancipation ou la libération de la femme. Ces théories posent une question fondamentale : comment penser la domination de genre sans l’isoler des autres rapports sociaux de pouvoir ? Existent-ils justement d'autres issues pour le féminisme ?
Le féminisme postcolonial appelle à 'décoloniser' le féminisme occidental en remettant en cause une définition ethnocentrique du sujet politique du féminisme et un modèle unique d'émancipation présenté par les féministes des pays industrialisés comme une avant-garde éclairée pour les femmes du sud. Les féministes occidentales ont toujours présenté le travail salarié comme un moyen infaillible d'émancipation féminine. Or, beaucoup de femmes noires et indigènes, que ce soit dans l'agriculture pendant l’esclavage ou comme domestiques chez les familles blanches, ont toujours travaillé. Pour ces femmes-là, le message lancé par les féministes occidentales et destiné, en théorie, à toutes les femmes, ne prend pas en considération leur particularité et le fait que, pour elles, il est difficile de considérer le travail salarié comme un moyen susceptible de les émanciper. En outre, pour ces féministes occidentales, accéder à l'égalité avec les hommes consistait surtout dans la participation des femmes à la vie publique. La présence 'physique' de la femme, dans chaque lieu où sont présents les hommes, était perçue comme la condition préalable à toute émancipation. Elles ont ainsi mesuré le statut et le pouvoir des femmes dans les sociétés non occidentales selon le degré d’accès des femmes à la sphère publique et la mixité entre les sexes. Il était donc difficile pour elles d'envisager que ces femmes pouvaient jouir d'une autre forme de pouvoir tout en vivant dans la non-mixité avec les hommes. Les femmes arabes, par exemple, paysannes, tribales ou appartenant aux couches urbaines populaires, qui constituaient la majorité écrasante de la population musulmane féminine au XIXe siècle, exerçaient une activité économique. Par ailleurs, en Égypte, leur activité économique était soutenue par les réseaux locaux et informels des femmes plus aisées. Ces réseaux ont été d’ailleurs largement affaiblis suite à l’intégration centralisatrice de l’économie égyptienne au marché européen. Au dix-neuvième siècle et contrairement à leurs homologues européennes, les musulmanes restaient propriétaires de leurs biens et continuaient de les contrôler après le mariage. Les femmes aisées ne sortaient certes pas de chez elles du fait de leur rang social, mais interagissaient avec la société, y compris avec les producteurs et les commerçants. La présence de ces femmes à l’extérieur du foyer était assurée par leur participation à la vie caritative : la construction des fontaines, l’établissement des écoles religieuses ou des bains publics qui portaient leurs noms. Il s’agissait donc d’une autre pratique à travers laquelle les identités des femmes entraient dans l’espace public.
En réalité, le modèle libéral de l'émancipation des femmes occidentales ne peut pas être appliqué aux femmes du Sud car, mis à part les obstacles économiques, religieux et sociaux, la conscience même des femmes est incapable d'adopter un tel cheminement. A cause de l'absence de la liberté de choix, de la peur des risques et des responsabilités morales et sociales que leurs décisions pourraient comporter, les femmes 'dépendantes' des hommes vivent constamment dans la peur d'être abandonnées socialement et économiquement. Leur seul désir est, selon la psychologie du care, "celui de plaire". Mais "en échange de leur bonté, elle s'attendent à être aimées et entourées d'attentions. D'où leur dévouement à s'occuper et à protéger leur entourage (ibid., p. 112)". Gilligan voit dans cette innocence qui caractérise le rapport de ces femmes au monde un altruisme intrinsèque que les femmes développent de génération en génération. Cet "altruisme en péril", comme le décrit l'auteure, risque de se dissoudre, de perdre son caractère innocent et originaire pour se transformer en un altruisme rationnel guidé, non pas par des pulsions instinctives, mais par une logique individualiste de 'droits et devoirs'. Cette aspiration à une justice objective, les femmes l'auront acquise rejoignant les hommes dans leur course compétitive vers le progrès. L'éthique du care, de l'attention à l'autre, que Gilligan propose, repose justement sur une logique intuitive des relations humaines, ce qui contraste avec la logique formelle d'équité sur laquelle est fondée la conception de justice (ibid., p. 121).
Comme nous avons déjà noté, ce besoin de 'détachement' qui conduit à l'agressivité dans les rapports humains, Freud ne l'applique pas à la mère qui, elle, serait pourvue d'une capacité exceptionnelle à aimer et à s'attacher.
Gilligan s'interroge à ce sujet : "Pourquoi la mère veut bien prendre le risque d'aimer et de souffrir si le 'moi' tend, naturellement, à la séparation à travers le rejet de toute connexion affective au 'monde extérieur' pour éviter "des souffrances atroces" (ibid., p. 81) ?
Pour beaucoup de féministes de la première vague, de toutes tendances, la plupart des 'maux' dont souffrent les femmes, depuis des hiérarchies qui règlent les relations entre les sexes jusqu'à l'image féminine 'moderne' véhiculée par les stéréotypes les plus normatifs, découlaient directement du régime patriarcal de la maternité et de l'activité maternelle. Au début des années soixante-dix, l'assimilation de la maternité à une forme d'oppression occupait une place importante dans le discours féministe. Dans Sputiamo su Hegel (trad. "Crachons sur Hegel"), texte publié en 1972, Carla Lonzi[5] écrit, " Nous ne sommes pas responsables de ce que nous avons fait de notre esclavage en enfantant l'humanité. Ce ne sont pas nos fils qui nous ont asservies, mais nos pères." Dans la pièce de théâtre norvégienne Une maison de poupée de Henrik Ibsen publié en 1879, Nora, la femme écureuil vit avec son mari comme elle a vécu avec son père, submergée par "une bonté absolue, synonyme de sacrifice" (Gilligan, 1986, p. 113). Elle décide donc de se rebeller, mais sa révolution est tellement douloureuse et dégradante pour ses valeurs originaires qu'elle décide de se suicider. Comme la crise "a détruit les fondements de son monde antérieur" (ibid.), elle abandonne donc l'idée du suicide et décide de partir à la recherche de nouvelles réponses plus solides aux questions qu'elle se pose sur son identité et sur ses convictions morales. La révolution manquée de Nora est semblable à la situation de la femme à l'ère de la grande Émancipation. "La possibilité de choisir et le fardeau de responsabilité qui l'accompagne ont envahi maintenant les replis intimes de l'âme féminine. Cette nouvelle liberté risque de provoquer une explosion similaire", explique Gilligan. L'exercice d'un tel choix a mis la femme en conflit avec les conventions de la nouvelle "féminité", particulièrement celle de "l'équation morale: bonté égale sacrifice de soi." Gilligan l'appelle aussi "le conflit entre la compassion et l'autonomie" ou "le conflit entre la vertu et le pouvoir" car lorsqu'elle est "tiraillée entre la dépendance passive et un altruisme actif (ibid., p. 134)", la femme est immobilisée et son initiative paralysée: il lui devient impossible d'agir ou de penser. Cette position psychique d'immobilité, Gilligan la définit comme un nihilisme moral :
Le nihilisme moral est aussi la conclusion des femmes qui cherchent, par le truchement d'un avortement, par exemple, à tuer leurs sentiments et leurs émotions… Elles perçoivent leur affection (care) comme une faiblesse et assimilent la position masculine à la force et au pouvoir. Elles concluent que la 'morale' ne présente aucune utilité aux forts de ce monde et que seuls les faibles se soucient des relations personnelles. Dans le cadre d'une telle perception de la réalité, l'avortement devient, pour la femme, une mise à l'épreuve (ibid., p. 200).
Elle continue :
La position nihiliste est celle de femmes qui ont eu une expérience douloureuse de sollicitude (care) et ne désirent se préoccuper que de leur propre survie, dernier refuge de l'instinct de conservation. Mais en tentant de survivre sans se soucier des autres, ces femmes finissent par retourner à la réalité et à la vérité des rapports avec autrui (ibid., p. 203).
En réclament leurs droits à travers la notion de 'justice' ou d'égalité', les femmes ont pris le risque de se retrouver face à un conflit opposant les nouveaux concepts de 'responsabilité', de 'choix' et de 'liberté individuelle' à une éthique traditionnelle de 'sacrifice de soi pour autrui'. D'après les résultats d'études menées auprès des jeunes femmes dans les années 70, Carol Gilligan souligne le rôle que joue le concept de 'droits' dans le développement moral féminin contemporain. Elle explique:
Ces descriptions soulignent la permanence, à travers les époques, d'une éthique de responsabilité au cœur de la préoccupation morale des femmes, ancrant la conscience de soi dans un monde de relations, mais elles indiquent également comment cette éthique s'est transformée à mesure qu'une approche de la justice fondée sur les droits a été reconnue (ibid., p. 212).
Ce désir d'annuler toute différence entre les deux sexes, de réclamer une justice de genre basée sur une reproduction de 'droits' et de 'responsabilités', a été le fruit de la politique de 'repositionnement des frontières' suggérée par la culture postmoderne. "Le post-modernisme a bouleversé, obscurci et repositionné les frontières entre le privé et le public, entre le masculin et le féminin, entre la sphère de l'intimité, la sexualité, les émotions et la sphère des relations économiques et politiques" (Melandri, 2010, p. 6), explique Lea Melandri[6], l'une des plus importantes intellectuelles féministes italiennes et co-fondatrice dans les années soixante du magazine contre-culturel L'erba voglio.
La femme contemporaine, bien que contrainte par le système social à adopter une morale basée uniquement sur les 'droits' et les 'responsabilités', demeure attachée à une voix différente, celle de l'éthique du care:
L'image de la femme qui parvient à l'âge mûr aussi dépendante d'autrui qu'un enfant est démentie par les années de soins qu'elle a prodigués et la sollicitude (care) dont elle a fait preuve pour cimenter les relations familiales. Il semble donc évident que la déviance apparente des femmes soit un problème de construction, une question de jugement plutôt que de vérité (Gilligan, 1986, p. 272).
Invitant la femme contemporaine à écouter 'la voix' de sa différence, voire l'essence même de cette différence, dans une perspective altruiste et non compétitive, Gilligan affirme :
Au lieu de concevoir son anatomie comme une cicatrice qui la destine à l'infériorité (comme l'a répété maintes fois Freud), on peut au contraire la considérer comme une source d'expériences qui illumine une réalité commune aux deux sexes : le fait que, dans la vie, on ne peut jamais tout avoir, que les choses que l'on ne voit pas subissent des changements au fil des années, que plusieurs chemins mènent à la satisfaction, et que la frontière entre soi et autrui est plus floue qu'elle ne paraît parfois. Ainsi, les femmes parviennent à l'âge mûr avec un bagage psychologique 'différent' de celui des hommes, et doivent faire face à une autre réalité sociale, puisque leurs possibilité de vies privée et professionnelle ne sont pas les mêmes, mais aussi avec une expérience de la vie à laquelle leur connaissance des rapports humains a donné un sens différent. Puisque les femmes vivent la réalité des relations humaines comme un don et non pas comme un contrat auquel on a librement consenti, elles ont une compréhension de la vie qui reflète les limites de l'autonomie et du contrôle que l'on peut exercer sur elles (ibidem).
Toutes ces perspectives de féminisme alternatif (le black feminism, le féminisme postcolonial, la philosophie du care…) suggèrent l'idée d'une réévaluation de valeurs féministes proposées par la société libérale. En voulant reprendre cette même démarche 'déconstructive' en l'associant au discours écologiste contemporain, l'écoféminisme tente de réinscrire la nature humaine dans la nature non humaine. A travers cette étude, nous essayerons de démontrer qu'en ce début de siècle agité géopolitiquement et écologiquement, la pensée féministe devrait cesser d'être une idéologie pour redevenir une éthique.
Ecoféminisme : femmes, environnement et écologie sociale
Les semences et les corps des femmes, en tant que centres du pouvoir régénératif, représentent, selon Vandana Shiva, "l'ultime colonie", aux yeux du capitalisme. Considérés comme des lieux passifs, la semence et le corps de la femme sont 'le terrain' où les experts produisent et ajoutent de la valeur. La nature, les femmes et les populations non occidentales sont considérées par ces experts de 'la valeur ajoutée' comme de la matière première. Dans ce sens, le contrôle externe sur les lieux de la régénération (la nature et les corps des femmes) devient non seulement désirable mais nécessaire pour la survie et le bien-être humains.
La colonisation de la terre a, et aura davantage dans le futur, un impact sérieux sur l'agriculture du Tiers monde. En effet, le tissu culturel et éthique basé sur l'agriculture est sacré dans ces pays-là et sa transformation en une industrie mercantile risque de perturber non seulement les activités économiques et sociales mais aussi les processus fondamentaux de la vie des agriculteurs. L'obstination de l'industrie à transformer cet héritage culturel en un simple produit commercial aboutira à l'expropriation des agriculteurs des pays sous-développés non seulement du point de vue éthique et culturel mais aussi sur un plan politique. C'est ce que Vandana Shiva a appelé le terrorisme alimentaire :
Le vol des richesses naturelles est un phénomène perpétré dans tous les pays où les petites exploitations et les petits paysans sont poussés à la ruine; où les monocultures remplacent les polycultures fondées sur la biodiversité; où l’agriculture, dont le rôle était de produire des aliments nutritifs et variés, devient un marché pour les semences génétiquement modifiées, les herbicides et les pesticides. Tandis que les paysans, cessant d’être des producteurs, deviennent de simples consommateurs de produits à usage agronomique brevetés par les firmes, que les marchés locaux et nationaux sont détruits au profit du marché international, le mythe du libre-échange et de l’économie mondialisée devient le moyen pour les riches de dépouiller les pauvres de leur droit à l’alimentation et même de leur droit à la vie car 70 % de la population mondiale gagne sa vie en produisant des biens alimentaires. La majorité de ces paysans sont des femmes. En revanche, dans les pays industrialisés, les paysans représentent seulement 2 % de la population. (Shiva, 2001, p. 14)
L'agriculteur devient ainsi un simple 'fournisseur' de matière première gratuite dépendant de ces industries pour avoir accès à des produits essentiels pour son activité comme les semences. Aux États Unis, les communautés de couleur, souvent isolées dans des ghettos urbains ou ruraux, ont toujours lutté contre les injustices environnementales affectant leurs milieux, notamment le dépôt de décharges toxiques et la pollution chimique. Leur voix fut seulement entendue lorsque, dans les années 1980, le discours écologiste blanc décida de les intégrer à sa lutte environnementale. En effet, les revendications de ces militants de couleur étaient considérées, jusque-là, simplement comme «des problèmes communautaires » ou «sociaux», les maintenant exclus du discours écologiste.
Ailleurs, des femmes doivent aller chercher l’eau qui peut se trouver à quelques heures de marche. Durant l’aller-retour quotidien, ces femmes remplissent une tâche essentielle mais non rémunérée. Cette tâche n'est-elle pas essentielle à la survie des familles ? Les tâches accomplies par des hommes et des femmes 'émancipées' dans les industries, les bureaux, ou les usines sont-elles plus essentielles ? Pourquoi les systèmes politiques et économiques s'obstinent-ils à dévaloriser ces activités? Dans les mouvements de ‘justice environnementale’, les femmes se définissent souvent davantage comme membres de cultures indigènes ou de communautés de couleur en lutte pour leur survie que comme ‘féministes’. Ces femmes ne répondent pas « à l’appel d’une nature abstraite, mais à une menace contre leurs familles et contre la santé de leurs enfants » (Heller, 2003, p. 48). Le 'désir de nature' des femmes du tiers monde est bien souvent l'expression d'exigences socio-économiques urgentes, comme la lutte pour une indépendance économique et contre le colonialisme impérialiste et sexiste de leurs terres. Il s'agit donc pour ces femmes d'une lutte de 'survie', d'un "désir d'intégrité écologique" (ibid., p. 90). Pour beaucoup de femmes du Sud, les problèmes écologiques ne signifient pas seulement la pollution de l'air et de l'eau mais l'exposition continue, dans leur milieu de travail, à des produits chimiques dangereux ainsi qu'une exploitation effrénée de leur force de travail au sein des industries émergentes pendant un temps de travail excessif et sous-payé.
Certains mouvements féministes occidentaux ont rejeté le modèle libéral pour proposer aux femmes d'autres alternatives. Beaucoup de femmes noires, par exemple, n'ont pas pu s'identifier aux symboles féminins prônés par les féministes blanches et présentés comme 'universels'. D'ailleurs, au milieu des années quatre-vingt, des auteurs féministes de couleur ont mis en cause le cadre analytique développé par les féministes blanches d’alors, fondé sur la dualité espace domestique/espace public. Cette idée d’une cassure entre le privé et le public remonte à la publication en 1958 du Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, pour qui la cause universelle de l’oppression des femmes est leur ghettoïsation dans le domaine ‘charnel’ de la sphère domestique et leur exclusion de la sphère publique du travail et de la culture. En réalité, l’idée que toutes les femmes se libéreraient en quittant la sphère domestique reposait sur des préjugés de classe et de race. Dans un essai intitulé Rethinking the Nature of work, publié en 1984, Bell Hooks affirme :
La position de beaucoup d’écrits féministes vis-à-vis du travail traduit une déformation bourgeoise. Les femmes des classes moyennes qui ont formulé la pensée féministe sont parties du principe que le problème le plus urgent des femmes était de sortir de la maison pour travailler, de cesser de n’être que des ‘femmes au foyer’… Elles étaient aveuglées par leur expérience personnelle au point d’ignorer le fait que la grande majorité des femmes travaillaient déjà hors de la maison, et pour occuper des postes qui ne parvenaient ni à les libérer de la dépendance vis-à-vis des hommes, ni à les rendre financièrement autonomes. (Hooks, 2000, p. 98)
Les féministes noires considèrent que les féministes blanches sont parties de leur propre expérience notamment d'une exigence basée sur leurs propres revendications personnelles, déterminées, entre autres, par leur appartenance raciale et sociale ainsi que leur niveau économique de vie. La question de la race et de la classe venait donc compliquer les notions jusque-là universelles de sexe et de corps liées au projet féministe. « La femme » n’était plus un sujet « universel » enfermé dans la sphère privée dont il lui suffirait de s’échapper pour atteindre la libération universelle. Les femmes de couleur qui travaillaient 'à l’extérieur' depuis des siècles n’avaient jamais connu une telle libération. Le mouvement féministe radical avait organisé son programme autour des catégories universelles où la femme et la sphère domestique étaient la généralisation de l’expérience d’un groupe de femmes blanches. Alors que le féminisme radical cherchait à instaurer un nouvel ensemble de pratiques culturelles se définissant par opposition à ce que les femmes décrivaient comme une société ennemie du corps, il y avait chez les écoféministes, un désir de nature implicite, une demande d’autre chose que les valeurs purement abstraites de liberté et de justice, une tentative d’ancrer la liberté dans les relations sociales et les pratiques culturelles qui expriment au quotidien des valeurs de collectivité, de sensualité, de santé et d’autonomie. Par exemple, alors que le féminisme radical prenait des positions extrêmes contre la maternité considérant, comme l’a déclaré Simone de Beauvoir, que les femmes devaient dépasser la fonction maternelle associée à la sphère domestique, les écoféministes, elles, soutiennent que les femmes doivent redonner de la valeur au rôle maternel et nourricier. C’est le nucléaire qui, pendant les années 1970-1980, a permis à l’écoféminisme d’aborder des dimensions vraiment concrètes, sociales et historiques de la « question de la nature ». Grâce à des mouvements comme WITCH (Women’s International Terrorist Conspiracy from Hell)[7], WPA (Women’s Pentagon Action)[8], le Woman Earth (Woman Earth Feminist Peace Institute)[9] ou le Camp de la paix de Greenham Common[10], les féministes commençaient à redéfinir en termes écologiques "la sensibilité organique latente" (Heller, 2003, p. 75) dans la politique du corps évoquée par le féminisme radical, en remettant justement ce corps féminin au centre de son environnement écologique.
Au cours de son histoire, l'écoféminisme est passé d'un mouvement antimilitariste essentiellement américain à un mouvement transnational centré sur les problèmes du développement, de justice économique, des droits de l'homme, de la reproduction et de la paix. Dans une tentative de rapprocher l'épistémologie féministe des théories issues de l'écologie sociale, Ynestra King[11] a étudié les effets historiques de la dichotomie entre nature et culture sur la construction de l’identité sexuelle en Occident. Pour elle, l’analogie femme-nature était une construction plus sociale que biologique. Cette analogie était un héritage direct de la ‘coupure’ entre nature et culture, elle-même liée à cette dichotomie entre sphère privée et publique dont les féministes blanches débattaient. Ynestra King appelait les femmes à étudier la formation historique de cette dichotomie pour mieux comprendre l’aliénation masculine vis-à-vis des domaines ‘domestiques’ de la nature et du corps, au lieu de rejoindre les hommes dans leur projet de surpasser la nature. La contribution de l’écologie sociale apportait au féminisme une vision explicitement révolutionnaire, à la fois émancipatrice et écologiste, pour aborder les problèmes d’objectivité que les féministes ont traditionnellement relevé dans les théories psychanalytiques, scientifiques ou anthropologiques. En parlant d’unité dans la diversité, l’écologie sociale proposait aussi un moyen de réconciliation avec l’autre en énonçant qu’il était possible de reconnaître, à la fois, les différences et les liens entre les phénomènes organiques.
L'écoféminisme, tout en proposant une nouvelle lecture globale des problèmes socio-environnementaux dans les pays non occidentaux, critique la dichotomie ontologique de la pensée et de la science occidentales. Celles-ci, en légitimant le rôle de l'homme colonisateur en tant qu'agent et modèle du développement, engendre la domination de la nature et de la femme et génère ce que Vandana Shiva appelle le "mal-développement". Réécrire l'histoire d'un point de vue écoféministe signifie avant tout la renverser, reconsidérer ses structures sociales et culturelles, réviser ses modèles de 'progrès' et d'émancipation, à partir d'un angle nouveau, celui du bas, de ceux et celles qui ont toujours été en bas de l'échelle civilisationnelle. La pensée écoféministe nous montre, décidément, qu'à l'époque de la mondialisation et de l’immense ouverture culturelle, des thèmes comme le réenchantement de la maternité, le rapport aux racines et à la terre-mère, le drame du déracinement, la rencontre entre langues, cultures et territoires peuvent être partie intégrante de l’engagement social, intellectuel et artistique.
Références bibliographiques
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[1] Après l'expérience de 1968, un grand nombre de militantes italiennes commencèrent à quitter les partis de la 'Nouvelle Gauche' pour former le mouvement féministe social anticapitaliste 'l'Autonomia'. Ce groupe de femmes fut très vite rejoint par les militantes du mouvement "Opéraïsme" (Operaismo) et Lotta Femminista (essentiellement dirigé par Mariarosa Dalla Costa e Leopoldina Fortunati) pour créer une campagne en faveur d'un salaire pour le travail domestique. Cette campagne, se répandant rapidement en Europe et en Amérique du Nord aboutit à la fondation de l'un des premiers mouvements sociaux transnationaux "Des Salaires pour le Travail Domestique" (DSTD).
[2] « Ces valeurs, et tout particulièrement le progrès, ne correspondent pas du tout à des aspirations universelles profondes. Elles sont liées à l’histoire de l’Occident et recueillent peu d’écho dans les autres sociétés. Les sociétés animistes, par exemple, ne partagent pas la croyance dans la maîtrise de la nature. L’idée de développement est totalement dépourvue de sens et les pratiques qui l’accompagnent sont rigoureusement impossibles à penser et à mettre en œuvre parce qu’impensables et interdites. Ces valeurs occidentales sont précisément celles qu’il faut remettre en question pour trouver une solution aux problèmes du monde contemporain et éviter les catastrophes vers lesquelles l’économie mondiale nous entraîne. » (Latouche, 2001, p. 2)
[3] Carol Gilligan est philosophe et psychologue féministe américaine née en 1936. Elle est connue pour son travail sur les relations éthiques et le care. Elle est actuellement professeur à l'Université de New York et professeur invité à l'Université de Cambridge. Elle est surtout connue par son ouvrage Une voix différente ([1982]1986).
[4] Selon les tests, les hommes préfèrent nettement les situations moins personnelles, où les rapports intimes sont remplacés par des rapports "de compétitivité régis par des règles" qui sont, aux yeux des hommes, "un moyen relativement sur d'établir un rapport avec autrui." Dans un tel rapport, les hommes se sentent plus en confiance car "les limites à ne pas dépasser sont clairement définies et l'agression contrôlée." Les femmes, en revanche, situent le danger et l'agressivité plutôt dans des situations d'isolement et de "construction hiérarchique des rapports humains." Leurs visions ne projettent aucun rapport de violence dans des situations de contact physique ou de rapport intime. Elles y voient, au contraire, un terrain propice à la confiance, à l'attachement et au care. (Gilligan, 1986, p. 262)
[5] Carla Lonzi (Florence 1931-Milan 1982), critique d'art et écrivaine, abandonne sa profession d'enseignante à l'Université de Florence pour se dédier entièrement au féminisme en 1970 et rejoint le groupe Rivolta Femminile. Elle fut la principale représentante du féminisme de la différence ainsi que du mouvement séparatiste en Italie.
[6] Lea Melandri a fondé l'Université Libre des Femmes avec un groupe de femmes au foyer et des intellectuelles qui menaient un travail interclassiste sur la représentation des femmes dans la société capitaliste.
[7] Le mouvement WITCH (Women's International Terrorist Conspiracy from Hell) fut l’une des premières actions féministes à formuler explicitement une sensibilité écologique. Ces féministes, à travers l’humour et le théâtre, a édifié une première analyse du militarisme, du capitalisme, du sexisme et du colonialisme considérés comme détruisant la nature et la société humaine.
[8] Le Women’s Pentagon Action (WPA) fut la première action d’un réseau écoféministe issu la conférence Women and Life on Earth (1980). Cette action rassembla trois mille femmes dans une grande manifestation spectaculaire à Washington. L’action de la WPA reliait les questions du féminisme, du capitalisme, de l’écologie, de l’antiracisme et de l’antimilitarisme. Le WPA fut aussi à l’origine d’une nouvelle esthétique explicitement écoféministe mêlant les deux sensibilités « sorcière » et « maternante ».
[9] Women Earth fut fondé en 1984 par un groupe de femme de couleur radicales, d’écoféministes et de militantes pacifistes féministes dont Ynestra King, Barbara Smith. Women Earth fut le premier institut féminin à être organisé selon le principe de parité raciale. Women Earth a marqué un tournant important de l’histoire de l’écoféminisme car ce fut le premier mouvement féministe à avoir mis la question du racisme et des hiérarchies ethniques l’une de ses priorités.
[10] En Angleterre, un groupe de militants pacifistes et écologistes s’allie avec le groupe Women and Live on Earth pour fonder le Camp de la Paix de Greenham Common sur la base militaire du même nom. Greenham devint alors un symbole de l’action directe internationale en marche, une démonstration du travail de survie quotidienne des femmes dans un âge nucléaire patriarcal.
[11] Ynestra King est une écrivaine et théoricienne écoféministe. Elle est la fondatrice du mouvement Women and Life on Earth et le mouvement féministe anti-militariste. Elle est également la présidente du Comité des femmes, de la population et de l'environnement.