Carnet n°1 / De vive voix

Pour une société debout

Angela Biancofiore

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Pour une société debout

par Angela Biancofiore

 

Le mouvement des « Nuits debout », né en mars 2016 à la suite d'une manifestation contre la loi Travail, révèle un immense besoin de prise de parole et d’échange.

Un échange profond, une écoute profonde, non plus dans les limites de la communication par écran interposé.

Nuit debout signifie aussi, il y en a assez d’une communication purement virtuelle, dans laquelle nous sommes isolés. On ne veut pas être seul, on a besoin de ce corps social dont nous faisons partie, et nous voulons être là avec nos corps. Les corps envahissent les places, se réunissent, les voix, les accents différents, les gestes : le corps est présence, la collectivité se retrouve comme un seul corps devant l’agression économique et culturelle du pouvoir.

 

Montpellier Place de la comédie 2016

La loi « travail » demande au travailleur d’être encore plus « souple », afin d’ajuster précisément la courbe des licenciements à la courbe économique des profits des entreprises: en d’autres mots, c’est une loi qui ne reconnaît pas les droits de l’humain.

Une goutte qui fait tout déborder… Une partie de la société, ce peuple de la nuit debout, entend inverser l’ordre des choses car il a soif d’un changement profond dans la manière de concevoir la relation à l’autre.

L’autre homme, femme, enfant, jeune, l’autre qui n’est pas une chose, un objet, un outil entre les mains d’une machine qui broie, qui dévore l’humanité.

Les effets du chômage sont bien visibles dans le domaine de l’entreprise comme dans l’agriculture : suicides, maladies, dépression, pauvreté… désertification de régions entières. Le paysage de l’Europe est en train de changer au fur et à mesure que la délocalisation des entreprises avance. Ceci n’est pas inexorable.

L’erreur réside dans le fait de croire que ce mode de fonctionnement est éternel : le capitalisme, comme tout phénomène humain, a un début, il aura une fin.

Il finira quand il trouvera une puissance égale ou supérieure qui le fera reculer. Il finira quand on consommera autrement, quand on deviendra TOUS des GRAINS DE SABLES dans les engrenages de ce système.

Déjà notre envie de parler avec nos corps rassemblés sur les places ne plaît pas au pouvoir. C’est un échange hors cadre, hors norme, qui ne rentre pas dans la programmation du système mais qui vient du peuple.

Ce peuple qui ne veut pas être assis mais debout.

La Grèce, affirme l’écrivain Nanos Valaoritis, tout comme une ancienne colonie de l’empire romain, paye des impôts très lourds à l’Europe, de plus elle est obligée d’acheter des sous-marins (défectueux) à l’Allemagne. C’est une forme ancienne et moderne de colonisation. Il faut en être conscient.

L’ordre que les puissances économiques veulent établir est en train d’anéantir les différentes formes d’humanité. Le peuple des Nuits debout n’accepte pas cet ordre, il exige plus de dialogue et de justice, il refuse le cynisme et l’indifférence.  L’indifférence aboutit à une crise de la responsabilité : cela signifie concrètement qu’on n’aperçoit plus le lien entre nos actes et leurs conséquences.

Une fille affirmait haut et fort à la Nuit debout à Montpellier le samedi 23 avril : « Il y en a marre de l’individualisme !»

De suite après, un jeune prenant le micro disait : « on veut plus d’amour ».

Ceux qui verraient de la naïveté dans ces propos lors d’une assemblée populaire se trompent. Il ne s’agit pas d’analyses économiques ou politiques, mais c’est une nouvelle forme d’humanité. La jeunesse n’est plus prête à accepter une société dominée par des fanatiques du profit,  qui veulent imposer la logique du toujours plus. Les jeunes – et les moins jeunes – ont compris qu’on n’a pas dix planètes pour suivre le rythme de développement que le néolibéralisme impose à la terre.

Une nouvelle forme d’humanité surgit pour nous alerter, elle nous dit: arrêtons-nous ! La pratique de l’arrêt permet le dialogue et l’écoute.

La pratique de l’arrêt permet de vivre dans l’instant présent, elle nous aide à vaincre la peur. La peur de la fin, la peur du chômage, la peur de la mort et de la maladie, la peur de la précarité…

On ne peut pas vivre avec la peur, mais on peut bâtir le dialogue afin de développer de nouvelles formes, de nouvelles pratiques…

Nous sommes tous interdépendants. Même le capitalisme devrait le savoir. Il ne peut pas faire ses comptes sans nous. S’il se coupe de sa base, il sème les graines de sa propre destruction.

Si les gouvernants tentent d’arrêter par la force les Nuits debout, c’est la violence aveugle qui va exploser, car la parole a besoin d’être entendue, on ne peut pas la bloquer. La parole doit être proférée, elle nécessite « l’épreuve de l’air », comme disait Odysseas Elytis, pour s’affirmer.

Cette nouvelle forme de dialogue social nous fait comprendre qu’il est grand temps de prêter attention aux nouvelles pratiques sociales, aux acteurs de l’économie solidaire (groupes d’achats solidaires, micro-crédits, monnaies locales, banques du temps) : dans le monde entier, ces activités alternatives prouvent bien que la sphère économique peut se développer en dehors de la domination de la logique du profit.

La société actuelle a besoin d’un grand saut qualitatif : aller vers de nouvelles formes d’humanité.

Elle a besoin d’une vraie transition écologique (promesse non maintenue par nos gouvernants) car le pétrole et l’uranium ne sont pas inépuisables ; l’Etat a l’obligation de protéger la santé du citoyen en évitant la production et la dissémination des déchets de l’industrie nucléaire  qui sont à l’origine d’une pollution définitive de notre environnement. L’Etat a l’obligation de protéger ses citoyens contre l’épandage de pesticides ayant des effets délétères sur la santé collective et, en premier lieu, des agriculteurs.

Global Nuit debout : le peuple de la Nuit debout est convaincu que tous les phénomènes sont reliés sur notre planète, car l’effet papillon se produit aussi bien dans les réseaux des mouvements de protestation au niveau mondial : alors, ayons le courage d’une nuit globale debout !

Le changement doit être planétaire, global car nous sommes tous connectés, nous savons que nous avons besoin de transformer tout d’abord nos consciences : notre manière de voir, de communiquer, de consommer, de travailler…

« Soyons le changement que nous voulons dans le monde », affirmait Gandhi. Les crises ont ceci de positif : de nous amener au point critique à partir duquel tout peut basculer.

La crise nous amène à comprendre notre interdépendance, nous ne sommes pas tous seuls, c’est pourquoi nous avons besoin de resserrer les liens sociaux pour faire face à une attaque sans précédents contre les parties les plus fragiles de la société. Dans une société de l’individualisme et de l’utilitarisme, la solidarité est à cultiver, la fraternité est à construire, ce n’est pas un sentiment « naturel ».

On pourrait dire que la loi « travail » vise avant tout le privé, mais le processus ne s’arrête pas là : les fonctionnaires seront à leur tour attaqués (ils le sont déjà, dans certaines catégories de travailleurs). Personne ne doit se sentir assis, dans une position confortable et à l’abri, nous avons l’obligation d’être tous solidaires : les enseignants à l’égard des élèves, les travailleurs du secteur public par rapport au privé, les employés par rapport aux agriculteurs…

Les jeunes qui se révoltent l’ont compris : nous sommes tous en danger.

Chacun de nous a la responsabilité du monde, de ce monde, et nous allons travailler pour les non-nés, car chacune de nos actions, vue dans le long terme, doit être pesée en fonction de ses conséquences sur la vie future.

                                                                                                                                                       

                                                                                                                                                                             Montpellier, avril 2016

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