N°1 / Penser les mondes méditerranéens

Trilinguisme en Tunisie : un sujet qui dérange

Alfonso Campisi

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Alfonso Campisi

Trilinguisme en Tunisie : un sujet qui dérange

 

Depuis des années, je m’occupe en tant que linguiste et philologue de la langue parlée  par mes étudiants tunisiens.
Un sujet qui n’a jamais pu être abordé sérieusement et « pacifiquement »  à cause de la dictature qu’on a vécue pendant 23 ans sous le régime  Ben Ali.
Un sujet qui dérange  énormément  tous les panarabistes  convaincus, mais comme tous les sujets dérangeants, ceci mérite une analyse approfondie et honnête.
Le problème de la langue est une priorité de notre gouvernement. Mais de quelle langue parle-t-on ?
La complexité linguistique en Tunisie touche profondément à la politique, au niveau culturel de nos jeunes et aux innombrables défaillances  du système éducatif.
Partons donc du principe que chaque peuple peut avoir une, deux, voire trois langues officielles et/ou maternelles. Prenons l’exemple des Maltais, des Belges, des Suisses, des Luxembourgeois et d’un nombre considérable de peuples africains.
La langue maternelle est celle avec laquelle nous nous exprimons tous les jours, parlée sur tout le territoire national  et avec laquelle j’exprime tous mes états d’âme : la joie, l’amour, mais aussi la rage, les chagrins…
Ma langue est celle que j’utilise quotidiennement et sans aucune imposition,  avec mes parents, mes amis, mes professeurs, mes collègues de bureau etc.
Nous les Tunisiens, utilisons dans tous ces circonstances là, notre langue maternelle qui est le TUNISIEN.
Oui j’ai bien dit le tunisien ou l’arabe tunisien pour faire plaisir à ceux ou celles qu’en lisant mon article, commencent à faire des grimaces en signe de désaccord.
Le Tunisien est une langue. Le Tunisien n’est pas un dialecte.
Tous les critères linguistiques sont respectés, car le Tunisien possède toutes les règles propres à une langue avec sa propre grammaire, que beaucoup ignorent ou veulent bien ignorer.
La langue est le miroir de tout peuple et de toute nation. La langue vit grâce aux apports extérieurs qui
en font leur richesse.
La langue reflète notre identité culturelle et l’appartenance à une région géographique  et/ou à un régime politique.
Si nous prenons l’exemple des pays du Maghreb, nous pouvons nous rendre compte que chaque pays possède sa propre culture à laquelle tient énormément  et que grâce à celle là, il  peut se différencier des autres. Cette différence culturelle s’exprime essentiellement par sa langue.
A titre d’exemple citons le Maroc ou l’Algérie qui ont une culture et une langue propre à eux qui les rendent différents de la Tunisie.
Pourquoi alors on continue à refuser notre langue tunisienne et nous nous obstinons à considérer comme seule langue maternelle, la langue arabe ?
Une des innombrables réponses est sans aucun doute le panarabisme et sa dictature.
Ce mouvement  politique, culturel et idéologique fortement séculier qui vise à unifier les peuples arabes, se proposant comme le défenseur de l’identité arabe.
Mais de quoi parle-t-on ?
Unification des peuples arabes ?
Défense de l’identité arabe ?
Vous avez déjà vu les peuples arabes unis ?
Vous avez déjà vu une unité politique, culturelle et idéologique entre les pays arabes ?
Tout ça relève du faux et surtout après le 14 janvier où le soulèvement des masses arabes et notamment tunisienne ont souligné encore une fois cette différence culturelle et linguistique.
Rappelez-vous que notre « mot d’ordre révolutionnaire » a été DEGAGE.
Nous nous sommes exprimés donc dans notre deuxième langue, qui est le français.
Notre voisin, la Libye ne s’est exprimée ni dans cette langue-là, ni sa façon de lutter contre le dictateur a été la même.
Sa démarche pour la conquête de la démocratie a été et continue à être totalement différente de la nôtre.
Et pourtant on est des voisins !!!
Pour revenir maintenant au système éducatif, le manque d’une identité linguistique crée un grand problème au niveau culturel et identitaire chez nos jeunes.
Cette recherche de l’identité expliquerait donc à mon avis, les incompétences linguistiques de nos étudiants, qu’une fois arrivés à l’Université n’ont aucune maîtrise de l’arabe,  leur langue soi-disantmaternelle, ni du français, leur deuxième langue.
L’écolier, le lycéen, l’étudiant, doivent avoir la possibilité de s’exprimer, d’écrire et d’étudier dans leur vraie langue maternelle, le tunisien et aussi le français.
Ce sont les seules deux langues en Tunisie, qui ne sont pas statiques et qui évoluent tous les jours avec l’apport de néologismes liés à l’informatique, à la science, à la médecine etc.
La langue arabe classique, est par contre statique, liée au religieux et ne respecte pas le principe fondamental de la linguistique, c’est à dire l’évolution.
Notre système éducatif a un besoin urgent d’être adapté aux exigences de nos jeunes auxquels on a imposé une arabisation sauvage et indiscriminée, dévalisant leurs cerveaux de toute sorte de connaissance et d’esprit critique.
Il s’agit d’une spoliation du savoir voulu expressément  par le régime dictatorial qui a su créer une masse d’analphabètes diplômés, nuls en arabe, nuls en français et privés de toute forme d’esprit critique et d’analyse.
Je me demande comment peut-on avoir un bon niveau  culturel et linguistique quand nos étudiants se trouvent face à trois langues « nationales non déclarées ».
Ils parlent leur langue, le tunisien, mais celle ci n’est pas officielle, on les oblige à écrire en arabe littéraire qui a tous les caractéristiques d’une langue étrangère, et on leur fait suivre des cours en français.
Cette dernière, le français, demeure la langue de la culture, de l’élite, de l’informatique, mais aussi de l’enseignement et passeport pour l’Europe pour tous les désireux de continuer leurs études sur le vieux continent.
Nous  sommes tous responsables de la baisse du niveau culturel et intellectuel.
Le nouveau gouvernement doit remédier  à tout cela et se mettre dès maintenant au travail.
Nous les universitaires,  ne pouvons plus tolérer cette schizophrénie linguistique qui voit des matières enseignées en arabe littéraire au collège, pour passer ensuite au lycée en français.
Il faut donc se décider une fois pour toutes et choisir entre l’hypocrisie du panarabisme et l’incompétence, optant ainsi pour une arabisation généralisée de notre système, ou bien  le développement de l’esprit critique et d’analyse propre à une démocratie qui passe par une francisation complète de l’enseignement, arrêtant définitivement de considérer le français comme la langue du colonisateur. Celles-ci ne sont que de réflexions désuètes et stupides.
Il faut donner au français et au tunisien le statut qu’ils méritent  si on veut vraiment avancer dans la lutte contre l’ignorance  et l’illettrisme.

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