Carnet n°1 / De vive voix

Entretien avec Amara Lakhous

propos receuillis par Vittorio Valentino

Amara Lakhous, Vittorio Valentino

Résumé

Un entretien avec l'écrivain Amara Lakhous  réalisé à l’occasion de « La Comédie du livre », Montpellier, le 8 juin 2013

propos receuillis par Vittorio Valentino

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Vittorio Valentino : Quel est votre rapport avec la langue et la culture italienne à l’égard de votre propre culture initiale, mais aussi avec la langue amie et ennemie de l’ex-colonisateur français?

Amara Lakous : Je commence en disant que j’ai un rapport serein avec toutes les langues. Les langues sont des instruments extraordinaires de connaissance, donc si j’ai à ma disposition une clé pour ouvrir une porte, j’utilise cette clé donc a priori je n’ai pas de problèmes avec les langues, pour moi elles sont toutes égales entre elles. C’est un peu comme ajouter des yeux à tes propres yeux, nous naissons avec deux yeux, celui qui apprend une nouvelle langue ajoute un œil, car il verra différemment le monde, mieux. La métaphore que j’utilise souvent, est celle de la caméra. Si un réalisateur utilise une seule caméra pour filmer une scène, celle-ci pourra en filmer seulement une partie, car son champ visuel est très limité, si au contraire il en a à sa disposition deux, il aura d’autres points de vue. Donc pour moi les langues sont fondamentales et l’italien est pour moi une langue maternelle, ce n’est pas une langue dont j’ai hérité comme le berbère ou l’arabe, ou comme le français, que j’ai trouvé dans ma vie à ma naissance. L’italien est une langue que j’ai cherchée, que j’ai aimée, que j’ai apprise avec effort, jour après jour, je l’ai conquise, personne ne me l’a offerte, et cela me rend très fier. J’ai tendance à distinguer le français en tant que langue, culture et en tant que résultat du colonialisme C’est en effet une donnée historique, celle qui affirme que le français est rentré en Algérie avec le colonialisme, mais à travers le français nous avons réussi à lire Flaubert, ce qui pour moi est fondamental, et à communiquer ; j’ai appris l’italien à travers le français, donc j’essaie de faire une distinction entre langue française et colonialisme.

V. V. : Vous êtes né en 1970 au milieu d’une génération d’écrivains maghrébins appelée « génération de 70 » : à quelle génération sentez-vous d’appartenir ?

A. L. : Je crois qu’en littérature la question n’est pas générationnelle. Lorsqu’on parle de générations on essaie de faire une distinction entre vieux et jeunes : cependant, il y a des écrivains qui ont un âge avancé mais qui ont les mêmes caractéristiques que les jeunes, car ils sont curieux, n’ont pas peur des changements, sont très novateurs sur le plan de l’écriture et très créatifs. Puis il y a des écrivains qui écrivent comme des vieux : ils sont donc éteints, ne sont pas curieux, ils ont une écriture morte, sans vivacité ; donc le concept générationnel dans l’écriture a tendance à homologuer, à mettre ensemble dans le même espace des écrivains qui sont extrêmement différents. Cette homologation provoque aussi une inclusion-exclusion, car cela a tendance à insérer des écrivains et à en exclure d’autres ; les critères de cette sélection sont donc largement discutables.

V. V. : De quelle façon vous sentez-vous touché par les événements de Lampedusa? Par ses morts et ses disparus ?

A. L. : Pour moi cela fait partie des éléments structurels et physiologiques d’une situation donnée. Nous avons assisté, il y a deux ans, après la révolution en Tunisie et la guerre en Lybie, à cette vague de Tunisiens, de Nord-Africains, je suis donc lié à cette réalité. Cette situation provoque en moi une gêne profonde, car la loi et la Constitution italienne garantissent le droit à l’asile, mais malheureusement ce que dit la Constitution italienne n’est pas respecté. J’ai même affirmé qu’au vu de la situation actuelle, il vaudrait mieux suspendre l’article 10 de la Constitution. Un État n’est pas obligé d’aider un peuple dans un moment difficile. S’il ne le peut pas, mieux vaut le dire ouvertement et suspendre pendant quelques années cet article, car le fait de ne pas le respecter nuit à cette belle Constitution et lui enlève de la crédibilité.

V. V. : Vous avez écrit deux livres au succès considérable comme en témoignent les nombreuses traductions en différentes langues. En 2010 est sorti un film tiré de votre premier roman : Choc de civilisation pour un ascenseur piazza Vittorio. Un quatrième roman vient de paraître. Pouvons-nous dire que votre carrière artistique soit un exemple réussi et constructif de participation active à un contexte culturel ?

A. L. : Oui, et je me sens honoré pour cela, cela me fait plaisir. Mon projet de vie et de création est ouvert à 360 degrés, sur le plan linguistique et culturel, cependant, le mot « modèle » me semble ambitieux. Je pars d’Algérie, le pays où je suis né, mais je ne me suis pas contenté de cette identité, j’ai essayé de l’agrandir, de la féconder, de l’enrichir avec de nouveaux éléments. Au fond, j’ai toujours cherché à faire cela, prendre le meilleur de ma culture d’origine ainsi que le meilleur de la culture italienne, mais aussi des autres cultures. C’est un grand défi, mais un défi encore plus grand réside dans le fait de les faire interagir entre elles, car à l’intérieur de moi elles ne constituent pas des identités séparées, elles vivent ensemble, elles sont multiples, mais chacune d’entre elles a une fonction. Comme pour le football, elles font équipe.  

 

V. V. : Grâce aux mots des mondes différents se rapprochent. À l’intérieur de la Méditerranée d’aujourd’hui, quel est le poids de votre écriture ?

A. L. : Ce ne serait pas honnête de ma part si je disais le contraire. Je représente en Italie un exemple heureux de rencontre entre les cultures. Je suis souvent invité pour représenter l’Italie. Aujourd’hui, à Montpellier, je représente l’Algérie, mais en réalité j’ai parlé de l’Italie, à travers mes romans je représente l’Italie. Il y a deux ans j’ai été invité en Australie pour représenter l’Italie au festival de Sidney, son plus grand festival littéraire ; l’année dernière j’ai été en Algérie pour une rencontre organisée par la Communauté Européenne, j’ai été invité par l’Institut Culturel Italien afin de représenter l’Italie. Sur le catalogue de présentation, à côté de mon nom, figurait le drapeau italien, j’ai donc représenté l’Italie en Algérie. L’Italie est une partie de moi, non seulement parce que je suis citoyen italien, j’écris en italien je fréquente la culture italienne, je parle italien avec ma femme même si elle est américaine, c’est aussi la langue de mon intimité. Donc je représente en ce sens quelque chose de positif, et cela me fait plaisir. 

V. V. : L’Italie des années 80 a exclu une génération d’écrivains migrants ainsi que leur apport culturel. Les auteurs migrants comme vous, unis aux enfants écrivains des migrants, pourraient-ils constituer une possibilité afin de rattraper le temps perdu et les occasions de rencontre manquées ?

A. L. : Je l’espère, car il s’agit d’une présence fondamentale qui nous fait goûter à l’Italie du futur. Nous sommes en ce sens des présages du futur, l’Italie qui est en train d’arriver ; beaucoup font semblant de ne pas voir, mais si on regarde les crèches ou les écoles primaires, il est possible de voir cette forte présence. Toutefois, la loi et la politique sont très en retard, car ces enfants de migrants n’ont pas la citoyenneté italienne, car le droit du sol n’existe pas, c’est un problème important. Il s’agit aussi d’une présence littéraire, car il n’y a pas que des auteurs « italianissimi », je suis un auteur italien mais je ne sui pas « italianissimo », car je viens d’une autre culture et d’une autre langue.

V. V. : Quel effet cela vous a fait, y compris au niveau personnel aussi, d’avoir la tâche de diriger la section dédiée au Maghreb dans Nuovo Planetario Italiano ?

A. L. : C’était une vraie aventure, dans le sens où mon grand ami Armando Gnisci me l’a demandé et je n’ai pas pu le lui refuser. J’avais même oublié cet essai. Armando Gnisci est une personne exceptionnelle, j’ai de suite accepté quand il me l’a demandé, j’ai donc essayé de lire les auteurs et de faire le point sur cette littérature.

 

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